« Il faut qu’il grandisse et que je diminue » (Jean 3,30)

Nous avons déjà vu (Parler et écouter) que l’oraison comporte deux périodes, en général, l’une plus bavarde active et l’autre plus silencieuse et passive.

L’oraison ordinaire doit progresser

Au début, et cela pendant de longues années, on part d’un texte de l’Écriture. On cherche des idées. C’est surtout une réflexion, une méditation. On parle à Dieu.

Ensuite la prière évolue, il y a l’oraison affective. On s’attache au Seigneur, on l’écoute davantage. On essaie de faire sa volonté. Parfois l’oraison est difficile. Mais cette oraison de « misère » n’en est pas moins bonne.

Avec le temps, vient l’oraison de simplicité. Les paroles sont peu nombreuses. L’essentiel c’est la présence de Dieu. Tu es là, cela suffit. Toute l’oraison peut tenir en quelques mots : Merci, Pardon, S’il te plaît, Je t’aime.

Les distractions sont toujours là, mais on ne s’en inquiète pas. On est tellement attaché à l’oraison qu’on désire lui consacrer un temps plus long.

Dans ces différents niveaux de l’oraison, la part de l’homme reste importante. On l’appelle active, même si la grâce est très présente. C’est l’oraison de l’immense majorité des chrétiens. C’est la voie ordinaire. Mais il faut toujours essayer d’avancer plus loin.

Dieu nous attire vers lui. Mais, comme il est infini, notre croissance spirituelle n’est jamais terminée. Pensons que nous ne sommes qu’au début de notre ascension. On peut toujours approcher de Dieu, si on le désire. « Faites encore de nouveaux progrès » (1 Thes 4, 1).

Je dois garder toujours dans le cœur l’idée de progressivité. Dieu me réserve des surprises. Je ne suis pas arrivé au bout de mes découvertes.

Cette croissance se fait au milieu de circonstances imprévues. Elle a ses hauts et ses bas. Elle est faite de morts et de résurrections. Il y a des degrés dans l’intimité du Seigneur.

Tout se passe dans le silence de la prière. Dieu agit, par son Esprit, au plus profond du cœur. Le temps de l’oraison est particulièrement favorable à cette croissance. Nous progressons toujours, alors que nous n’en avons pas conscience. Nous commençons chaque oraison, enrichis par les grâces reçues au cours de l’oraison précédente. Celui qui répond à une grâce en reçoit une autre plus importante. Ainsi la spirale de la vie divine est de plus en plus rapide. C’est l’application de la parabole de talents : « A tout homme qui possède, on donnera et il sera dans l’abondance » (Mat 25,29).

Les signes du progrès

- On se met plus facilement en prière. On prie plus souvent et plus longtemps. On désire faire oraison, même si elle est aride. On ne peut plus s’en passer.

- L’oraison se simplifie. Le texte d’Écriture est moins nécessaire ou même disparaît complètement. Parfois une parole nous est donnée dès le début de l’oraison. On parle moins.

- La prière devient un entretien paisible avec Dieu, ou même une simple présence d’amitié. On est ensemble, c’est tout.

- On pense à Dieu plus souvent. On lui est uni. On sent qu’il est là. On invoque l’Esprit Saint.

- On répète le nom de Jésus.

- On essaie de faire uniquement la volonté de Dieu. On est plus courageux pour s’engager dans des tâches difficiles. On s’impose des sacrifices volontaires.

- On fait des progrès dans la charité fraternelle. On est plus attentif à écouter les autres. On pardonne plus facilement.

- On garde la paix, la joie, la sécurité en Dieu, la force. On est humble. On se sait pécheur. On accepte les reproches. On cherche moins à se justifier.

- La conscience s’affine. On découvre en soi des péchés dont on n’avait pas vraiment conscience jusque là, tellement ils étaient cachés, l’orgueil, l’attachement à soi-même, le manque d'amour etc…

- On s’attache à Jésus, à ses paroles, à l’Eucharistie. On vit avec lui. On brûle de sa passion pour le monde, pour l’Eglise. On aime Marie.

- Quelquefois une joie inconnue envahit l’âme. D’autres fois c’est la nuit, mais peu importe, on vit cela dans la foi.

- On accepte, et même on désire souffrir comme Jésus, avec Jésus, par amour de Jésus.

Ces différents signes, et d’autres, montrent qu’il s’est passé quelque chose. Cela n’empêche pas les difficultés et les fautes. Mais on n’en ressent pas de découragement.On vit dans la confiance. Jésus s’occupe de nous.

Conditions de cette croissance

- Être docile à l’Esprit, à ses appels, répondre fidèlement à la grâce.

- Si tout va bien, attribuer ça à Dieu et le remercier.

- Dans le cas contraire, se demander si ce n’est pas de notre faute.

- Se défier de soi-même ; se regarder comme le dernier de tous.

- Accepter la Croix, en union avec celle de Jésus. Agrandir notre désir.

- Vouloir aller toujours plus loin. Ne jamais dire : Assez.

- Attendre l’heure du bon plaisir de Dieu. S’abandonner. Dire oui à tout.

- Après l’Eucharistie, l’oraison est un des moyens les plus puissants pour opérer cette gigantesque transformation.

Laisser Dieu agir en nous

La Bible rapporte plusieurs interventions de Dieu : par exemple quand il s’adresse à Abraham, à Moïse… L’annonciation à Marie est l’initiative la plus admirable de Dieu : c’est le début du Salut apporté aux hommes.

Remarquons l’attitude de Marie : malgré son étonnement, elle dit son accord à la volonté de Dieu. Ensuite, Saint Luc dit que Marie méditait ces événements dans son cœur. L’Évangile rapporte aussi comment la sœur de Marthe, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa Parole.

De même, je n’ai pas à réfléchir ni à parler. La méditation est utile quand on étudie la Parole de Dieu. Mais à l’oraison, c’est le contraire, elle est un obstacle. Ce serait une illusion de penser que l’on peut apporter quelque chose à Dieu. C’est Lui qui a le premier rôle. L’oraison/contemplation consiste à accueillir Dieu, le laisser entrer en nous et lui donner toute la place. S’il fait sentir sa Présence, si une lumière nous arrive, tant mieux. Mais ce n’est pas nécessaire. "La prière chrétienne n'est pas d'abord œuvre de l'homme mais œuvre de Dieu" (P. Caffarel).

« La méditation est … fort utile au commencement de la vie spirituelle ; mais il ne faut pas s’y arrêter,puisque l’âme par sa fidélité à se mortifier, à se recueillir, reçoit une oraison plus pure et plus intime, que l’on peut nommer de simplicité, qui consiste dans une simple vue, regard ou attention amoureuse… vers quelque objet divin, soit Dieu en lui-même, soit Jésus Christ ou quelqu’un de ses mystères … L’âme quittant donc le raisonnement, se sert d’une douce contemplation qui la tient paisible, attentive et susceptible des opérations et impressions divines, que le Saint-Esprit lui communique » (texte anonyme du 17ème siècle, cité par Clorivière).

Qu'est-ce que la contemplation ?

Quand on a fait oraison pendant longtemps, pendant des années, il arrive des moments où l'on éprouve plus le besoin de parler.

Quand une maman regarde le visage de son nouveau-né, son cœur est rempli de joie, de remerciement, d'un bonheur intense. Elle reste là longtemps, cela lui suffit.

Contempler Dieu, c'est être avec Lui. On sait, par la foi, qu'il est là. On pense à Lui, on l'aime. On ne cherche pas autre chose.

On croit que son Esprit agit en nous et qu'il nous accorde beaucoup de grâces. Parfois, on sent quelque chose qu'on n'arrive pas à expliquer. On est heureux. Le Seigneur doit être là. On ne fait qu'un avec Lui. Pourtant, on ne peut pas le voir lui-même, du moins en cette vie. "Personne n'a jamais vu Dieu" (Jn 1, 18). Ce que je ressens parfois, c'est seulement un effet, une trace de sa présence en moi, le résultat de son passage, les transformations qu'il m'apporte.

"J'ai moi aussi reçu la visite du Verge et cela à plusieurs reprises… Mais jamais je n'ai eu le sentiment précis ni de son entrée, ni de sa sortie… Vous me demandez comment j'ai pu connaître sa présence. C'est qu'il est vivant et actif. A peine était-il en moi qu'il tira du sommeil mon âme assoupie. Mon cœur était comme la pierre et malade : il l'a secoué, amolli et blessé. Il se mit aussi à sarcler, arracher, à construire, à planter, à arroser les terres arides, à illuminer les endroits obscurs et à ouvrir les chambres closes ; mieux encore, il redressa les voies tortueuses et aplanit les terrains raboteux, tant et si bien que mon âme bénit le Seigneur et que tout moi-même se prit à chanter les louanges de son saint nom…

J'ai compris qu'il était là à certains mouvements de mon propre cœur : la fuite des vices et la répression de mes appétits charnels m'ont fait connaître la puissance de sa venue."
St Bernard. Sermon 74 sur le Cantique

A d'autres moments, on ne sent absolument rien. Mais ça n'a pas d'importance. Une voix secrète dit qu'il faut demeurer là en silence. "Demeurez en moi, comme moi je demeure en vous".

C'est ça la contemplation. "Une attention simple et fixée uniquement sur son objet, à peu près comme quelqu'un qui ouvre les yeux pour regarder avec amour" (St Jean de la Croix).

La contemplation est un don gratuit, donc il dépend du bon vouloir de Dieu. C'est à lui de décider. Il donne ce qu'il veut, à qui il veut, en tenant compte cependant de la générosité de chaque personne. En général, il accorde la contemplation à ceux qui ont déjà beaucoup progressé et qui essaient de ne rien lui refuser. Un des signes que le Seigneur accorde le don de la contemplation est l'attachement à l'oraison, même si elle est difficile. On y est très fidèle, on ne peut plus s'en passer.

Pour cela, il faut demander l'amour, la lumière, la générosité, l'esprit de sacrifice. Dire oui au Père, faire sa volonté et accepter les croix de chaque jour.

L'oraison est un chemin vers la contemplation

Pendant l'oraison, il faut essayer de se taire en face de Dieu, « mettre son cœur en repos », et rester en silence. J’écarte volontairement les distractions et le sommeil. Il peut arriver que j'aie l'impression du vide, mais, en réalité, Dieu est là.

La plupart des auteurs proposent de faire de temps en temps une invocation. D’autres suggèrent de s’accrocher à un mot très court, par exemple Dieu ou Jésus. On prononce toujours le même mot quand l’attention s’écarte.

Quelques uns conseillent de rester simplement devant le Seigneur. En face du mystère infini de Dieu et de son œuvre, l’attitude qui convient n’est-elle pas le silence, non pas un silence vide, mais un silence rempli d’admiration et d’amour. Cela peut être vécu dans la joie ou dans l’obscurité.

Donc on reste là, simplement, par amour. C’est une inaction volontaire. Cette attitude demande des efforts. Elle ne peut se prolonger indéfiniment. Donc on se fixe un temps, par exemple une demi-heure, ou une heure. Ceux qui ne sont pas capables de rester ainsi ne doivent pas se culpabiliser. Ce qui est possible aux uns ne l'est pas nécessairement aux autres. Chacun doit prier selon la manière qui lui convient.

En résumé, le but de la contemplation est l'union d'amour avec Dieu. Pour s'y préparer, il n'y a pas de méthode, de règle. L'essentiel est de chercher Dieu.

Ce temps est très utile à la fois pour soi-même et pour les autres. Dieu n’est pas ingrat. Il voit la bonne volonté de celui qui s’efforce d’entrer en contemplation. Il lui donne beaucoup de grâces nouvelles. Pourtant la personne n’en a pas conscience en général, au moins à ce moment là.

Dieu accorde également de grandes faveurs à l’Église et au monde.

Tout le monde est capable d’avoir une vie d’oraison profonde. Certains y parviennent à travers des prières vocales, d’autres en faisant des invocations, au long de la journée, à travers les occupations banales et le service du prochain. D’autres enfin par la contemplation silencieuse. Chercher Dieu est autre chose qu’avoir de belles pensées. L’union à Dieu se fait dans la foi de multiples manières.

L’Esprit Saint mène chacun d’une façon particulière. Le Concile Vatican 2 a rappelé que tous les hommes sont appelés à la sainteté. La sainteté n’est pas réservée à une élite. Chacun doit y tendre en réalisant toujours plus la volonté de Dieu. Elle est possible dans la vie même la plus ordinaire. La sainteté ne consiste pas à faire des miracles ou à avoir des révélations, des visions extraordinaires, mais à aimer Dieu de plus en plus.

La foi et l’amour

Progresser c’est passer peu à peu du "faire" à "se laisser faire", de l’oraison active (C’est moi qui prie) à l’oraison reçue (Je sais que Dieu prie en moi).

On demeure dans la foi. « Plus nous avançons en âge, plus nous nous acheminons vers l’éternelle et définitive rencontre avec le Père, moins nous aurons d’attraits sensibles pour aller vers Dieu » (Jean Derobert).

Certains priants ayant une longue expérience disent qu’à l’oraison leur activité se limite à écarter les distractions et le sommeil et à aimer. Ils laissent Dieu agir en eux. C’est Lui qui fait tout. Ils croient que la prière leur est donnée. Ils s’unissent, dans la foi, à la fête, au festin de Dieu.

« La foi et l’amour sont les deux conducteurs d’aveugle qui te mèneront, par des chemins inconnus de toi, jusqu’aux secrets abîmes de Dieu. La foi joue le rôle des pieds qui portent l’âme vers Dieu. L’amour est le guide qui lui montre la route » (St Jean de la Croix, Cantique spirituel 1, 1).

Bruno est catéchiste en Éthiopie. Le Père lui dit : « Bruno, je te vois toujours dans l’église. Tu es en train de prier ? – Mon père, je ne peux plus prier. – Comment ? alors tu t’ennuies ? – Non, je ne dis rien Je suis bien. Je suis là, c’est tout ».

La condition du progrès est la mort à soi-même

« Je me livre à toi comme une proie » (Sainte Elisabeth de la Trinité)

L’obstacle à l’entrée de la Trinité en moi, c’est moi-même. Au centre de mon âme il y a le moi. Entre Dieu et moi, il faut choisir. Dieu a droit à toute la place. La condition pour entrer en contemplation c’est la mort du moi, une désappropriation en faveur de Dieu.

Le Christ est le modèle parce qu'il est tout entier don de lui-même au Père et à ses frères. Le Père n’est autre qu'un mouvement vers le Fils ; le Fils n’est autre qu'un mouvement vers le Père. C’est ce que Jésus a vécu sur la croix : « Il s’est anéanti lui-même en s’abaissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix » (Phil2, 8).

Pour nous cela veut dire « une mort continuelle aux choses extérieures ». Ensuite, « après avoir tout quitté, l’âme se quitte en quelque sorte elle-même…Qu’elle consente à ce que ses puissances deviennent en partie privées de leur opération naturelle… sacrifice bien pénible pour celles qui ne sont pas tout à fait mortes à elles-mêmes » (Clorivière).

Abbé Yves JAUSIONS
Diocèse de Rennes, FRANCE
Dans : Oraison sans frontières, 2006.

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