On les appelle communément « garibous » ou plus précisément des « talibés », ces jeunes enfants portant en baluchon des boîtes de tomate et dandinant dans les rues de Ouagadougou à la quête du pain quotidien. Au-delà de cet acte de charité, des individus exploitent ces « innocents » faisant d’eux des « esclaves des temps modernes ».
Les faits
Les talibés constituent de nos jours un fonds de commerce pour des maîtres coraniques. Aux abords des mosquées, des restaurants et dans les rues de Ouagadougou, ils déambulent à la recherche de leur pitance quotidienne. Enfants en bas âge pour la majorité, ils sont exposés à tous les dangers dans un monde où la quête effrénée du gain facile a pris le dessus sur le bons sens. Pratique religieuse ou instinct de survie, la mendicité des jeunes enfants talibés a pris une tournure qui ne laisse personne indifférent.
Et dans cette gymnastique du donner et du recevoir, ce sont les « karassamba » qui se remplissent les poches sur le dos des intéressés. Ibrahim Ouédraogo est un jeune talibé de 16 ans. Aux alentours du rond-point de la Patte d’Oie (secteur n°15 de Ouagadougou), lui et ses compères sont aux aguets des potentiels donateurs. Les dons varient en nature et en espèces, beignets, bol de riz, plat de haricot, poulets, colas, de l’argent... sont entre autres les plus reçus par les talibés.
Si les dons en nature sont directement exploités par les « garibous », l’espèce sonnante et trébuchante ne l’est pas. En effet, à la descente du « boulot », les talibés sont astreints au partage du « gombo » avec leur maître coranique. Ibrahim Ouédraogo, unanimement avec ses « confrères », reconnaît verser chaque jour 100 F CFA soit respectivement 50 F CFA pour l’achat du pétrole et 50 F pour l’achat de l’eau au « karassamba ». Selon Assami Bouda, un autre « garibou » de 13 ans, ils sont 14 enfants sous la bannière du maître coranique.
Logiquement et mathématiquement, cela fait exactement 1400 F que le « karassamba » empoche par jour pour les frais de pétrole et d’eau. Par mois, cela fait 42 000 F CFA. Il est certain que cette somme dépasse largement la consommation en pétrole et en eau mensuelle des enfants. Du fait que les « garibous » ne prennent qu’une douche par jour et n’utilisent la lampe tempête que la nuit tombée, il va sans dire que le « naaba » de ces enfants se fait du sou. Sous un soleil de plomb, Madi Yaméogo se promène dans les ruelles bordant le marché Rood Woko.
Boîte en main, traînant ses pieds, il est visiblement fatigué. Le regard triste et las, il donne l’impression de porter une charge qui l’empêche d’avancer. Ce poids semble être la somme de 250 F CFA qu’il doit verser à son maître coranique le soir venu. Selon lui, ils sont plus d’une vingtaine de talibés à s’adonner à la mendicité sous les ordres du « karassamba ».
Avec vingt talibés déboursant chacun 250 F CFA par jour, ce maître coranique du secteur n°24 (Somgandé) de Ouagadougou impose des conditions de vie draconiennes aux enfants pour se remplir les poches.
Des conditions de vie draconiennes
Au bas mot, il engrange 150 000 F CFA par mois. Pourtant, les enfants talibés pour la plupart mangent dans la rue durant la journée. C’est seulement à la nuit tombée qu’ils « dînent » chez le maître coranique et y passent la nuit sur des nattes étalées à même le sol.
A Hamdallaye, quartier réputé être le fief de ces jeunes enfants, on y rencontre des talibés de tout acabit. Des gamins de 7 à 8 ans sont des garibous. Ils passent le tiers de leur journée dans les rues de ce quartier. Moussa Tall est élève d’une école coranique d’une centaine d’élèves. Chaque jour, le réveil est fixé à 3h du matin. De cette heure jusqu’à 6h, les jeunes enfants récitent les versets coraniques, couchés sur des tablettes de bois, « les walaga ». Après le déjeuner, (s’il y en a bien sûr), ils s’adonnent à la mendicité jusqu’à 14h pour une autre répétition qui prendra fin à 16h.
De 16h à 20h, ils reprennent le chemin de la mendicité qui les mène dans différents recoins de la ville : le centre-ville ou les quartiers de Pissy, de Tanghin, de Gounghin et même de Paag la yiri... Le jeune Tall âgé de 15 ans dit récolter de 500 à 1 000 F CFA par jour. Pour ce talibé, c’est seulement le vendredi qu’il verse 150 F CFA à leur maître coranique.
Du fait qu’ils sont nombreux, satisfaire leur satiété devient un casse-tête chinois pour certains « karassamba ». Plusieurs talibés reconnaissent qu’ils mangent ce que leur maître leur offre sans en retour exiger que cela soit suffisant parce que « cela ne le sera pas », lance un talibé rencontré dans la cour de la mosquée d’Hamdallaye (secteur n°19) de Ouagadougou. Les études se font souvent à des heures tardives.
Le Coran proscrit la mendicité
Le groupe du jeune Tall poursuit les études de 20h à 23h avant d’aller dormir, avec un réveil fixé à 3h du matin. Si l’on considère qu’il faut au minimum 8h de sommeil à un enfant pour se reposer convenablement, la donne est faussée avec ces jeunes talibés.
Des préjugés font croire que le saint Coran encourage la mendicité. Selon une source de l’Association des élèves et étudiants du Burkina (AEEMB), le saint Coran ne prescrit pas la mendicité. Ainsi, les jeunes talibés sont contraints souvent d’aller mendier par le simple fait que leur maître coranique le leur ordonne.
Or, étudier et mendier ne peuvent faire cour commune. L’on pourrait épiloguer dans le même temps sur l’avenir de ces enfants qui à 15, 16 ou 18 ans ne savent rien faire de leurs dix doigts. Pis, les connaissances engrangées à l’école coranique ne sont pas sanctionnées par un diplôme.
Quand on les interroge sur leur avenir, les intéressés sont tellement évasifs dans leur réponse que cela révèle l’incertitude du lendemain qui hante leur esprit. A la question, Assami Bouda, hésite avant de lâcher qu’il veut être vendeur ambulant ou boutiquier. L’impertinence de la réponse fait pouffer de rire ses compères « garibous ». C’est une triste réalité de constater que les talibés baignent dans un univers qui est dommageable pour leur avenir.
Alors qu’il est possible de transformer ces bambins « talibés » qui sont des milliers en artisan de leur avenir. De ce fait, la religion musulmane n’a-t-elle pas été instrumentalisée pour réduire en esclavage des jeunes enfants avec la complicité de leurs parents ? Quelles sont les actions entreprises par l’Action sociale pour éradiquer le phénomène de « ces esclaves des temps modernes ? » Les « karassamba » n’ont-ils pas bâti un « empire du crime » en se faisant passer pour des exploiteurs plutôt que des éducateurs ? Ce sont là autant de questions qui trouveront peut-être réponse dans le prochain numéro de constat.
Daouda Emile OUEDRAOGO
Sidwaya, vendredi 27 janvier 2006.
Source : http://www.lefaso.net/spip.php?article12033 (15/08/2012)