DIEU HABITE DANS LE CŒUR PROFOND

Qui sommes-nous ?

Pour bien comprendre l'oraison, il est nécessaire de connaître l'homme dans toutes ses dimensions. Les laboratoires et les universités étudient l'être humain avec ses éléments corporels et psychologiques. Beaucoup de gens pensent que la science suffit pour expliquer ce qu'est l'homme. Or, c'est faux : son domaine se limite à ce qui est observable.

La foi nous apprend qu'il existe une autre réalité supérieure, inaccessible à la seule raison. On l'appelle de différents noms : esprit, cœur profond, pointe de l'âme… Nous en avons à peine conscience, la plupart des gens l'ignore, ce qui est très dommage.

L'esprit est la partie la plus importante, la plus haute de l'être humain. Il en constitue l'élément essentiel. Sans lui, on ne peut rien comprendre à ce qu'est l'homme.

Donc, même si notre personne forme un tout, distinguons bien trois zones : le corps, l'âme et l'esprit.

Dieu habite dans l'esprit

Le mot esprit (en latin spiritus, en grec pneuma) signifie le souffle, la respiration, ce qui permet la vie... C'est le centre le plus intérieur de la personne, où l'homme dialogue avec lui-même et prend ses responsabilités.

Au baptême -reçu dans le sacrement, ou seulement par le désir pour ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ- nous recevons la vie même de Dieu, le souffle de Dieu qu'est l'Esprit Saint.

Ainsi, l'esprit ou cœur profond participe à la vie divine. Il est immortel. C'est en nous le point où Dieu habite et où l'homme peut le rencontrer s'il le veut ; il est libre soit de s'ouvrir à Dieu, soit au contraire, de se refermer sur lui-même.

Nous pouvons découvrir l'esprit grâce à la foi et au témoignage des mystiques, mais également à partir de notre propre expérience.

La foi

La révélation chrétienne affirme par de nombreux textes bibliques cette présence de Dieu en nous. « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit ? » (1 Cor 6,19). « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rom 5, 5). De même, toute la tradition des Pères de l’Église.

Le témoignage des mystiques

De grands priants affirment qu’ils ont reçu par grâce des lumières sur les mystères de Dieu. C’est pour cela qu’on les appelle les mystiques. Ils essaient de décrire les réalités sublimes que Dieu leur a révélées. Ces hommes et ces femmes ne sont pas des rêveurs ni des illuminés : ils l’ont montré parleur intelligence, et souvent par leurs grandes entreprises. Quelques-uns même ont été déclarés docteurs de l’Église, comme Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse d’Avila. Nous pouvons donc croire leur témoignage quand ils certifient que Dieu vit dans leur cœur.

L’expérience que nous pouvons faire

A un niveau beaucoup plus modeste, il arrive que des croyants sincères éprouvent parfois en eux un sentiment étrange de bonheur, d’amour, une présence, une chaleur, une source de vie venant d’en haut, qu’ils n’arrivent pas à expliquer. Souvent ces moments de bonheur surviennent pendant l’oraison ou après la communion. « Je sens en moi un bonheur pas possible », dit un jeune.

D’autres confient qu’ils ont entendu une parole intérieure qui s’est imposée à eux tout à coup, différente de ce qu’ils pensent habituellement. Il leur a semblé que cette parole venait de Dieu. Plus tard, si les fruits de cette parole sont bons : paix, charité… et si ce qu'elle annonçait s'est réalisé, on est certain, après coup, qu'elle venait bien de Dieu.

Autre fait d’expérience courante : des personnes, même peu croyantes, ressentent des aspirations vers l’absolu, vers Dieu. Elles se demandent : Pourquoi est-ce que j’existe ? – Y a-t-il quelque chose au-dessus de nous ? Ces questions peuvent surgir plus fortement à l’occasion d’un événement heureux ou malheureux, ou devant un choix très important, par exemple risquer sa vie pour les autres.

On constate souvent un sentiment d’insatisfaction, même chez des gens qui ont réussi au plan humain, par exemple qui ont fait fortune. Pourtant ils ne sont pas contents. Ils cherchent toujours autre chose.

"Qu'est-ce que l'essentiel ? Cela ne peut être tout ce que nous avons et que nous pouvons acheter. Quelque part, il doit bien y avoir un plus. Tous les hommes, d'une manière ou d'une autre, attendent dans leur cœur un changement, une transformation du monde" (Benoît XVI aux JMJ de Cologne).

Aujourd’hui, on parle de progrès. Tout le monde espère que la science et la technique vont avancer. Il semble que ce que l’homme possède ne lui suffise jamais. N’est-ce pas la preuve que nous sommes faits pour Dieu ?

Cela rejoint « le sentiment océanique » dont parlent certains psychiatres (Freud, « Le malaise dans la civilisation »). Des personnes, analysant ce qui se passe dans leur âme découvrent en elles quelque chose de très grand, des désirs illimités. "Quand je ressens en moi l'inspiration artistique, je sens qu'il y a en moi plus que moi", ont dit des artistes à un colloque international à New-York.

Il est trop facile de classer ces faits parmi des phénomènes ordinaires bien connus, fruits de l’imagination ou de psychoses.

Pour nous, au contraire, ces expériences, et beaucoup d’autres, sont le signe qu’il existe un monde immense, supérieur à ce que nous voyons. Qu’on le veuille ou non, cette dimension spirituelle est une réalité. Elle est présente en tout homme, même le plus perverti.

Mais pour beaucoup, elle reste inaccessible. Les sciences humaines l’ignorent systématiquement ou l’assimilent à des fantasmes, des projections du sur-moi, etc… Une science étroite de ce genre passe à côté de la réalité. Elle ne respecte pas l'homme : elle ne tient pas compte de sa dignité et de sa grandeur. Elle n'explique rien. Elle donne aucune réponse aux grandes questions de l'existence.

En fait, l’inquiétude, l’insatisfaction générale dont nous avons parlé vient de ce que l’homme a une vocation surnaturelle, c’est à dire au-dessus de ses capacités humaines. Il est fait pour cela. Après avoir cherché partout le bonheur, Saint Augustin a reconnu son erreur : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».

Ainsi l’enseignement de l’Église, le témoignage des mystiques et l’expérience courante se rejoignent pour affirmer qu’il existe dans l’homme une réalité très élevée. C’est l’effet de la présence de Dieu dans le cœur profond ou sommet de l’âme. Cette présence, on ne la découvre pas directement par la réflexion (raisonnement ou intuition). Cependant on peut en constater les effets.

Cette présence de Dieu est offerte a tous

Cette aptitude au divin, on peut soit la développer, soit la refuser. Certains la repoussent, la nient par principe ou l’étouffent en donnant trop d’importance aux valeurs courantes : argent, passion… L’homme privé de Dieu est replié sur lui-même. Il a son centre en un ou plusieurs points particuliers dont il est esclave et qui se font la guerre entre eux. Il est convaincu que personne ne l’aime et lui-même n’aime personne.

Au contraire, chez celui qui accueille Dieu, l’être est unifié par l’amour qui rayonne à l’intérieur et qui déborde sur le monde.

Entre ces deux extrêmes, il existe une multitude d’états intermédiaires. Chacun de nous ressent des élans vers l’infini, tout en sentant des points de blocage. Seul Jésus peut libérer le cœur. Il nous a totalement sauvés, gratuitement et inconditionnellement. Mais l’accueil en nous de ce salut est toujours à faire.

Dans cette partie profonde et invisible de nous-mêmes, Dieu habite, Père, Fils et Saint-Esprit. « Nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure » (Jean 14,23). L’Esprit Saint y est actif et nous façonne par ses dons, à la ressemblance de Dieu.

« O toi qui es chez toi, dans le fond de mon cœur » (hymne tamoul). Si Dieu est en nous, il en résulte qu’il n’y a plus de frontière entre lui et nous. Nous ne faisons qu’un. De plus, étant donné la différence infinie qui existe entre Lui et nous, on doit en conclure qu’il tient la place principale. Il est « plus présent à moi que moi-même » (Saint Augustin).

Donc, si nous le voulons, par le Christ, nous pouvons passer en Dieu dès maintenant. La vie éternelle est déjà commencée.

Ce qui commande tout : Je

Le corps, les désirs, la zone mentale ainsi que l’esprit, sont très liés. Ils forment la personne. Je marche, je pense, je prie. Qui est ce Je ? Est-ce le corps ? Non, ce n’est pas lui qui décide. Sans le mépriser, il s’agit de ne pas lui céder. Est-ce le mental ? Non. JE est une instance supérieure. Il est libre. C’est à lui de commander.

Il arrive que des personnes donnent la priorité au corps. Par exemple, c’est la boisson qui commande, ou le sexe, ou encore l’affectivité : on est dominé par ses états d’âme. Ou bien c’est le mental : on se complaît dans les idées, les discours, l’orgueil.

« JE » doit prendre ses distances par rapport au corps et à l’âme. Je ne peux rencontrer Dieu que si je meurs à moi-même.

Mais cela ne se fait pas sans combat. Car le cœur profond, lui aussi est blessé par le péché originel, cette réalité mystérieuse qu’on ne peut nier. Sans lui, le cœur profond ne serait qu’un élan vers Dieu. L’oraison ne serait qu’une continuelle et totale union à Dieu. En fait, il existe en nous une tension permanente entre le bien et le mal. Le choix libre de Dieu est toujours coûteux.

Mais la bonne volonté ne suffit pas il faut la grâce du Christ. Lui seul peut, par l’Esprit Saint, guérir le tréfonds. Il le rend spirituel, divin.

Le corps et l’âme doivent prendre, non pas toute la place, mais leur juste place. Et par là, beaucoup de problèmes sont résolus.

Cet accueil du salut est toujours à faire. L'oraison est importante parce qu'elle nous recentre sur Dieu chaque jour.

Au début de l’oraison, il faut nous recentrer sur Dieu, car nous l’avons peut-être oublié.

Vivons dans notre esprit

Certains diront : On ne nous a jamais parlé de cela. Et même, dans ce monde rationaliste et matérialiste, on rirait de nous si on en parlait. Et peut-être que nous-mêmes avons de la difficulté à y croire, parce que nous ne l’avons pas expérimenté.

Si nous ne sommes pas suffisamment ouverts aux grandes questions spirituelles et religieuses, si nous ne faisons pas assez attention à ce qui bouge en nous, ou encore si nous vivons dans l’immédiat et le terre à terre, le monde de l’esprit nous semblera irréel. « Si vous n’entendez pas Dieu parler, c’est que vous parlez plus fort que lui » (Mgr Sankalé).

Vouloir faire oraison, c’est faire oraison

Dieu nous aime. Il nous cherche le premier. Il attend un « oui » de notre part. Sa grâce est prête à bondir vers nous. La seule réponse bonne et valable est « Oui, Seigneur, je veux te rencontrer. Je veux te donner ce temps. Je veux m’arracher à la prison de mes passions. Je veux me laisser façonner à ton gré ».

Cet élan généreux doit être exprimé dès le début de l’oraison et repris de temps en temps en cours de route. C'est l'intention qui compte : « Je suis là pour toi ». Mon cœur profond reste tourné vers Dieu.

Aujourd’hui, les avions sont munis d’un pilote automatique qui remet l’appareil dans la bonne direction quand un coup de vent survient. De même, dans l’oraison, l’important est la ferme détermination de la volonté : si j’ai décidé de consacrer un temps à l’oraison, et si ensuite j’ai fait de mon mieux, Dieu tient compte de ma bonne volonté.

Donc, quand on a beaucoup de distractions ou un fort découragement, pensons que ces distractions ne font pas partie du cœur profond.

Si nous restons là en dépit des combats, par amour de Dieu, il y a oraison, même si elle n’est pas ressentie. Notre mental (réflexion, mémoire, imagination) est encombré ? Peu importe : « Qu’ils trottent, moi je suis avec Dieu ». Quelles que soient nos préoccupations (enfant malade, problèmes professionnels), il y aura tout de même oraison. Nous souffrons, mais l’oraison peut se dérouler bellement, en profondeur, malgré les violents vagabondages de l’imagination. Il en est de même, si je ressens la sécheresse ou si la somnolence me surprend.

Voici un témoignage : « Sortant d’oraisons pleines de batailles contre les distractions, oraisons que je croyais inexistantes, je me trouvais finalement plein de paix, de puissance, l’oraison s’étant passée au niveau profond du cœur ».

Ayons confiance dans le fond divin de notre cœur. Libérons-nous de tout ce qui entrave notre esprit. Ouvrons-nous sans réserve au souffle divin. Jésus a promis : "Vous allez recevoir une force celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous" (Actes 1, 8).

Abbé Yves JAUSIONS
Diocèse de Rennes, FRANCE
Dans : Oraison sans frontières, 2006.