1) Le refus de l’altérité
Le harcèlement moral commence souvent par le refus d’une différence. Cela se manifeste par un comportement à la limite de la discrimination (sexe, couleur de la peau, taille corporelle, différence de formation…), par des plaisanteries plus ou moins grossières ou des moqueries.
Lorsque ce refus vient d’un groupe, c’est qu’il est difficile d’accepter quelqu’un qui pense ou agit différemment ou qui a l’esprit critique, et l’objectif est d’imposer la logique du groupe au nouvel arrivé.
2) L’envie, la jalousie, la rivalité
L’envie est un sentiment naturel qui surgit inévitablement dès que deux personnes sont susceptibles de se comparer l’une à l’autre ou d’être en position de rivalité. Elle peut faire des ravages considérables en rendant les individus destructeurs. Et c’est un sentiment qu’on n’avoue pas facilement. En effet, comment dire à une personne : « Je ne te supporte pas parce que tu es plus intelligente, plus belle, plus riche ou paraît plus aimé que moi ? ». Ne pouvant le dire, on agit et on essaie de casser l’autre afin de se rehausser. En médisant de l’autre, on réduit l’écart entre soi et ce qu’on imagine de l’autre.
L’envie n’est pas proportionnelle à la valeur de l’objet envié, mais se concentre très souvent sur des petits riens dérisoires : on envie celui qui a un bureau près de la fenêtre, ou celui qui a un plus beau fauteuil, mais on envie aussi celui qui est préféré du chef ou qui a un meilleur salaire à qualification égale.
3) La peur
La peur est un moteur essentiel au harcèlement moral, car, de manière générale, c’est par peur que l’on devient violent : on attaque avant d’être attaqué. On agresse l’autre pour se protéger d’un danger. Elle est tapie au fond de nombreux employés, même s’ils n’osent pas en parler. C’est la peur de ne pas être à la hauteur, la peur de déplaire à son chef, de ne pas être apprécié de ses collègues, la peur du changement, c’est aussi la peur d’une sanction ou la peur de faire une erreur professionnelle qui pourrait amener à perdre son emploi.
De nos jours, cette peur est beaucoup plus indirecte que par le passé. On voit de moins en moins des responsables exiger ouvertement la soumission de leurs collaborateurs, mais en prônant l’autonomie et l’esprit d’initiative des employés, on essaie plutôt de les culpabiliser ; on leur fait comprendre que leurs difficultés ne viennent que d’eux-mêmes et qu’ils sont responsables des ennuis qu’ils pourront avoir s’ils ne sont pas conformes au système. De la sorte, la peur contribue à l’uniformisation et à une forme sournoise de mise au pas.
Dans certaines entreprises, la stratégie de gestion du personnel repose entièrement sur la peur. Les employés sont constamment sur la défensive, et cela se répercute du plus haut au plus bas de la hiérarchie. Il est difficile d’en parler, car on a honte d’avoir peur comme un enfant. Les moins solides auront la tentation de faire subir la violence qu’on leur a infligée à leurs inférieurs ou subordonnés hiérarchiques. Et ainsi se vérifient les pires dérives.
La peur qu’on a de l’autre amène aussi à se méfier de tout le monde. Il faut cacher ses faiblesses de crainte que l’autre en profite. Il faut attaquer avant d’être attaqué et, de toute façon, considérer l’autre comme un rival dangereux ou un ennemi potentiel. Comme en état de légitime défense, on cherche à se débarrasser de l’autre pour se sauver. Les pervers narcissiques, plus que les autres, ont peur des autres. Pour eux, tous ceux qu’ils n’arrivent pas à séduire ou à soumettre sont potentiellement dangereux.
La peur fait qu’on diabolise l’autre, on lui prête des sentiments agressifs parce qu’on se croit dans une position instable et qu’on se sent menacé. C’est ainsi qu’on peut être amené à harceler une personne, pas tant pour ce qu’elle est que pour ce qu’on imagine qu’elle est.
La peur engendre parfois de la lâcheté : on suit les pervers narcissiques dans leurs comportements irrespectueux de crainte d’être harcelé à son tour.
N.B. : La peur peut naître sans qu’il y ait nécessairement pression de la hiérarchie, elle est souvent le fait de comportements infantiles : peur de se faire gronder, peur de se faire prendre pour un comportement répréhensible, peur qu’apparaisse au grand jour une malversation. Lorsqu’on craint qu’une faute ou une irrégularité soit découverte, on peut avoir la tentation de se débarrasser des témoins.
4) L’inavouable
A coté des règles explicites, il existe des règles implicites propres à l’organisation de l’entreprise ou de l’institution. Bafouer ces règles, c’est se mettre en marge du groupe. Une équipe peut cacher en toute bonne foi un dysfonctionnement ou un laxisme qui consiste à tolérer, par peur du conflit, les petites négligences de chacun. Tant que ce n’est pas dit, ça n’existe pas. Celui qui osera dire ce qui ne va pas, ou simplement « ouvrira les yeux », sera mis au ban du groupe. Il y a là un consensus général, une sorte de règle occulte, qui doit être respecté si on veut montrer qu’on est intégré au groupe : petits vols de matériel, « emprunt » de fourniture du service à des fins personnelles, absentéisme organisé, etc.
Il y a des entreprises ou institutions qui acceptent l’informel, les petits arrangements pour améliorer leur efficacité, parce sans ces arrangements, elles ne peuvent pas fonctionner (la grève du zèle paralyse tel ou tel secteur). Mais lorsqu’on franchit une certaine limite, les petits arrangements deviennent délictueux.
Il est des directions qui achètent une certaine paix sociale, en refusant de nommer certaines dérives lorsque cela pourrait les mettre en conflit avec les syndicats. Elles laissent alors bafouer les prérogatives des cadres en les obligeant, par exemple, à fermer les yeux sur des comportements inadmissibles de certains employés, sous la pression d’un syndicat qui brandit la menace d’un mouvement social. Même si ces cadres ne sont pas mis en cause personnellement, ils y perdent leur crédibilité de cadres.
Le contournement des règles (notes de frais abusives, vols de petit matériel de bureau, coups de téléphone à l’étranger) est une façon de profiter du laxisme de l’entreprise ou de l’institution : « de toute façon, personne ne s’en apercevra ! », mais c’est aussi, pour certains employés, une revanche, une compensation à ce qu’ils considèrent comme des mauvais traitements que l’institution leur inflige. C’est aussi parfois, un simple écho aux contournements des règles par l’institution elle-même. D’autres fois, il est des secrets de polichinelle dont tout le monde doit tenir compte, mais dont il ne faut pas parler. Ce peut être la liaison du patron avec une de ses secrétaires ou autre chose, comme la fuite des épreuves d’un test de recrutement.
Lorsque les choses cachées concernent directement le fonctionnement de l’institution elle-même, plus la chose est grave, plus le verrouillage est intense. Tout le monde le sait et chacun pense que tout ce qui peut nuire à la « maison » peut nuire indirectement à chaque employé. En conséquence, dans des situations semblables, on se protège derrière le droit, dans ce sens que tout ce qui n’est pas strictement interdit par la loi est possible, qu’elles que soient les conséquences sur les personnes. On se protège, d’autre part, par le silence : tout ce n’est pas nommé n’existe pas. D’où l’importance de ne pas « nommer » ce qui ne va pas.
Abbé Robert ILBOUDO,
Archidiocèse de Ouagadougou