Il ne s’agit pas ici de faire le procès des pratiques coutumières ni d’en émettre un jugement de valeur, mais de les considérer par rapport à la transmission du SIDA.
a) La polygamie
Dans la société moaaga (adjectif désignant ici ce qui est relatif au Moose, ethnie majoritaire au Burkina Faso) par exemple la polygamie remplit entre autres une fonction sociale et économique. Au village, la « richesse » et le prestige d'un individu se mesurent par la taille de sa famille. Avoir plusieurs femmes et plusieurs enfants revalorise l'individu dans sa communauté, et constitue pour lui un réservoir de main-d’œuvre pour les différentes activités de production.
Cependant, force est de reconnaitre que la polygamie constitue de nos jours un facteur potentiel de diffusion du SIDA. Un membre (partenaire sexuel) d’un foyer polygamique peut, par son comportement, introduire le SIDA au sein de la famille. Cette maladie pouvant franchir les frontières domestiques pour atteindre la société environnante.
b) Le lévirat
De nos jours le lévirat peut aussi devenir un facteur de diffusion du SIDA. Le lévirat est un phénomène social à forte coloration culturelle. En milieu traditionnel moaaga donner sa fille en mariage est souvent un signe de reconnaissance pour un bienfait reçu ou une faveur obtenue.
Au-delà de l'individu qui donne sa fille en mariage et de celui qui la reçoit comme sa femme, il y a une alliance entre deux communautés qui s'établit. Répudier sa femme dans un tel contexte c’est briser une certaine harmonie, c’est causer des griefs sérieux entre deux communautés et un tel climat malsain peut être entretenu et se perpétuer de génération en génération.
Hériter la femme de son frère défunt obéit donc à la logique de préserver et de respecter le pacte scellé entre deux communautés à travers le mariage. La femme est perçue comme un « bien » familial, un « bien » du « buudu », c'est-à-dire de la communauté, et doit être gardée.
Très souvent il y a un grand écart d'âge entre le chef de famille et les jeunes filles qui lui sont données en mariage. Celles-ci tendent à avoir des liaisons extraconjugales avec des jeunes garçons de leur âge, pratique pouvant favoriser l’introduction du SIDA dans le foyer.
Dans le contexte créé par l’évolution actuelle du SIDA, le lévirat, phénomène culturel par excellence, peut s’avérer suicidaire si d’aventure le frère défunt est mort du SIDA.
De nos jours, on observe que même en campagne les gens ne s’empressent plus de « s’approprier » la veuve d'un parent défunt, surtout si celui-ci est mort des suites d'une longue maladie ; et dans beaucoup de villages, les selles des grands malades sont inspectées par les membres de la famille.
Cette heureuse prise de conscience croissante et le changement de comportement qui en résulte sont dus à la sensibilisation ainsi qu’à l’impact des ravages causes par le SIDA et constatés par les populations elles-mêmes.
Père François SEDGO
Religieux Camillien
Dans : Prévention SIDA et éducation chrétienne de la sexualité humaine, 1998.
Pages 45-46.