Le 23 novembre 2021, jour d’incidence de sa nomination, le cardinal Philippe OUEDRAOGO a accordé une interview à Radio Ave Maria, TV Maria et la radio diocésaine de Kaya. Dans son interview, il est revenu sur son enfance, son parcours sacerdotal et exprimé ses vœux les plus chers pour le Burkina Faso. Catholique.bf vous donne un résumé de l’interview.

Radio Ave Maria (RAM) : Si on vous demandait de vous présenter, qu’est-ce que vous direz de vous-même ?

Cardinal Philippe OUEDROGO (CPO) : Merci pour l’intérêt porté à ma vie et à ce que le Seigneur a voulu faire de moi. Je me rappelle qu’un auteur français a dit : le «moi» est haïssable. J’ai horreur de parler de moi, donc vous me faites faire un exercice très difficile (rires…). Comme vous le savez, je suis né dans les collines du Sanmatenga (à Kaya) dans une famille très cosmopolite où il y a plusieurs religions : la religion traditionnelle, l’islam et aussi un bon nombre de protestants. J’ai même un neveu qui est pasteur protestant(rires) ; j’ai un frère qui est imam ; donc voyez le contexte dans lequel je suis né. Mais un hasard de circonstance a voulu que mon père m’envoi à Kaya, dans la petite ville où vivait mon grand-père paternel. C’est là que j'ai connu le christianisme. J'ai fréquenté l'école primaire privée catholique et passé donc toute mon enfance à Kaya. J’ai connu le christianisme grâce au mouvement CVAV (NDLR, Cœurs vaillants Âmes Vaillantes) et plus tard le séminaire. Au CM2, notre aumônier CVAV m'a proposé de passer le test du Petit Séminaire et je me suis retrouvé à Pabré, promotion 1959. Nous sommes rentrés à 32, malheureusement il n'y avait qu'un seul prêtre (NDLR, lui-même) qui n'était pas le mieux indiqué. C’est un peu mon histoire.  

 

 RAM : Êtes-vous le premier garçon de la famille ou avez-vous des aînés ?

 CPO : Nous sommes une famille de polygame. J’ai des ainés qui sont des enfants d'autres femmes, mais de ma maman nous sommes six (6) et j'ai une grande sœur. Des six enfants de ma mère, il y a trois qui sont chrétiens et trois qui sont musulmans. Voici la réalité de ma famille

 

RAM : Quels ont été les sentiments de vos parents après l'ordination d'évêque ?

 CPO : Mon papa était un ancien combattant de l'armée française, un homme assez ouvert. Dans ma famille il y avait beaucoup d'oppositions à ma vocation mais jamais mon père ne m'a contrarié ; jamais il n'a levé la main contre ma vocation ; au contraire il réfutait tous ceux qui cherchaient à me détourner de ma vocation. Donc je dois certainement ma vocation à Dieu et aussi à mon père. S’il s'était opposé à ma vocation je n'aurais pas pu lui résister. Je rends grâce au Seigneur, que le Seigneur l'accueille auprès de lui. Une de mes joies est qu'il a été baptisé avant sa mort, ce qui me comble de joie.

 

RAM : Éminence, 25 ans après votre sacre épiscopal et presque 50 ans après celui de l’ordre sacré du presbytérat, comment vous sentez vous dans cette peau sacerdotale ? Qu’avez-vous à partager ?

 CPO : Comme le disait Sainte-Thérèse de l'enfant Jésus :   tout est grâce, et moi je n'ai aucun mérite. Dieu nous fait acception de sa personne ; il choisit qui il veut, quand il veut, comme il veut et où il veut. C’est un peu les sentiments que j'ai eus quand je regarde à rebours les événements qui se sont déroulés dans ma petite existence humaine chrétienne. C'est surtout une action de grâce au Seigneur et à l'instar de la Vierge Marie, mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur le puissant fit pour moi des merveilles, saint est son nom. Voici les sentiments qui m'habitent. Enfin, tout cela n'est rien d'autre qu'un service. Ce n’est pas pour ma gloire personnelle. Dans l'Église, l'autorité n'est rien d'autre qu'un service et c'est le trait marquant de mon existence sacerdotale et épiscopale.

 

RAM : Vous apprenez votre nomination comme Évêque de Ouahigouya par le Pape Saint Jean Paul II. Comment avez-vous accueilli cette nomination ?

 CPO : Bien sûr avec beaucoup de surprises. J’étais directeur du Petit Séminaire et j'ai eu la grâce d'ouvrir le petit séminaire Saint-Cyprien de Kaya. L’Évêque m'a signifié une autre nomination, une autre mission après 4 ans. J’étais vraiment (rires) surpris mais comme je l'ai déjà dit tout est don de Dieu ; tout est grâce et ce n'est rien d'autre qu'un service, donc je l'ai accueilli comme un service.

 

RAM : De Kaya vous vous retrouvez à Ouahigouya ou vous succédez à Mgr Marius OUEDRAOGO de Vénérée mémoire…avez-vous eu des appréhensions particulières pour la prise de possession canonique de ce siège ? Vos joies est vous défis dans ce diocèse ?

CPO : Autant ma nomination fut une grande surprise pour moi, autant celle de servir dans le diocèse de Ouahigouya était un autre défi pour moi. Mais les deux diocèses étaient assez liés. Remplacer un homme comme Monseigneur Marius OUEDRAOGO qui était vraiment vénéré comme vous le dites, ce n'était pas évident, mais j'ai senti que le peuple de Ouahigouya m'a accueilli. Je n'ai jamais senti qu'ils m'ont considéré comme un étranger, aussi bien au niveau des laïcs que du clergé. Je me suis senti vraiment accueilli et nous avons essayé de travailler pour le bien du diocèse dans les perspectives de ma devise épiscopale : unis dans l'amour annonçons Jésus Christ. Je n'avais pas d'autres projets ou d'autres intérêts à Ouahigouya que d'être au service de l'Église, au service du royaume.

 

RAM : Quel souvenir gardez-vous de ces dates 13 mai 2009 et 13 juin 2009 ? Racontez-nous les joies et les peines d’un archevêque, d’un cardinal ?

CPO : (rires) vous me demandez trop de choses hein !!! l'épiscopat du Burkina était composé de pas mal de personnes qui sont en plus mes aînés et qui ont certainement plus d'expérience que moi. Je ne sais pas pourquoi et qu'est-ce qu'ils ont considéré pour que je me retrouve archevêque de Ouagadougou. Comme je l'ai déjà dit, tout est grâce. Même en rêve je n'aurais jamais imaginé que je me retrouverai ici à Ouagadougou un jour. Il y a 3 prêtres qui ont marqué ma vie. C’est celui qui m'a nommé évêque à Ouahigouya, Jean-Paul II. Il y a aussi Benoît XVI, qui m'a transféré à Ouagadougou ; il a fait de moi un membre du collège cardinaliste. Ainsi, toutes ces dates historiques sont vraiment d’une grande importance pour moi. Mais ce n'est rien d'autre qu'un service de la Parole de Dieu, du Royaume de Dieu, du service de mes frères et sœurs. Peu importe mes limites humaines, ce qui importe c'est que j'aime et j'ai toujours aimé l'Église que j'ai découverte, que j'ai connue par la grâce de Dieu et Dieu a voulu faire de moi un serviteur et me voici avec mes limites humaines.

 

RAM : Pouvez-vous revenir sur les chantiers entrepris au niveau de Ouahigouya ? (Petit séminaire, la création de la paroisse Christ Roi de l’Univers …). Vous êtes la cheville ouvrière d’un monastère. Comment se comporte ce monastère et quel est son avenir ?

  CPO : Comme le disent les mossis, si le chef est brave sa suite est brave : le français dit César a fait le pont mais le latin est plus astucieux, il dit César a fait faire le pont. Ce n’est pas la même chose. L’Évêque a construit et l'Évêque à fait construire… (rires dans la salle) c'est pour dire, bien sûr il y a le premier responsable mais j'avais autour de moi des prêtes avec qui nous étions en communion à Ouahigouya. La création du Petit Séminaire n'a pas posé de problème. Rome avait demandé de faire une mission parce que j'étais consultant de la congrégation pour l'évangélisation des peuples. Aux termes de cette évangélisation j'ai dit, mais qu'est-ce que vous allez faire pour moi ? il faut m'aider à construire un séminaire. C’est ainsi que le séminaire (le séminaire Notre-Dame de Nazareth) a été construit. Il y a eu d'autres œuvres par la suite grâce aux laïcs, religieux et surtout grâce aux prêtres. Je me rappelle bien que j'étais préoccupé par l'absence de l'Église dans certaines populations du diocèse de Ouahigouya notamment les Peuls. Alors on a pu créer la paroisse de Arbinda avec les missionnaires d'Afrique, les Pères Blancs. Voilà un peu pour répondre à votre curiosité (rires des journalistes et du cardinal)

 

RAM : Peut-on avoir un bilan de votre épiscopat actuel au niveau de Ouagadougou et sur le plan universel ? Quelles ont été vos motivations dans l’exécution de vos chantiers à Ouagadougou ? Cela a-t-il été facile, sinon quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Qu’attendez-vous de votre presbyterium et des laïcs ?

CPO : En fait c'est une continuité. J’ai appris à être Évêque à Ouahigouya (…) il n'y a pas d'école pour être évêque. On est formé pour être prêtre et on regarde parmi les prêtres celui qui peut faire ces services et certains sont choisis pour faire l'épiscopat. Quand je suis arrivé à Ouagadougou, le slogan que j'ai lancé à la prise de possession était : Duc in altum !, aller au large. Ce n'était pas de moi, c'est de Jésus, l'Évangile de Saint-Luc. C’est un slogan pastoral. Tandis que ma devise épiscopale c'est Unis dans l'amour annonçons Jésus-Christ. Nous voulons bâtir une Église de type familial à l'exemple des communautés chrétiennes des Actes des Apôtres : Église famille de Dieu à travers les communautés chrétiennes de base pour susciter des responsabilités au milieu des laïcs. bien sûr, nous avons d'autres préoccupations mais l'option pastorale fondamentale c'est l'évangélisation. Comment donner Jésus à tous ceux qui ne le connaissent pas et comment aider ceux qui connaissent Jésus à le connaître, à l'aimer davantage et à vivre davantage de lui ? C’est la priorité des priorités. Cela nous a permis de créer un certain nombre de paroisses. En 12 ans, nous avons fondé 11 paroisses et nous sommes en train de nous organiser pour une autre étape. Même si je vais à la retraite cela va se poursuivre. Il y a une dizaine de paroisses encore en vue et nous allons impliquer les laïcs.

 

 RAM : Avez-vous rencontré des difficultés dans l'exécution de ces chantiers ?

 CPO : Bien sûr, il y a des difficultés. L’insuffisance des moyens financiers est par exemple une difficulté réelle. Nous sommes en ville, il y a des gens qui ont du travail mais la majorité n'a pas de travail. Il y a beaucoup de pauvreté et de misère. À l'archevêché ici, vous voyez le nombre de déplacer qui sont venus ? c'est vraiment une préoccupation. Je ne pense pas que nous ayons réussi à relever le défi de la pauvreté et de la misère, d'où la nécessité de travailler davantage pour l’autoprise en charge.  

 

RAM : Vos rapports avec les autorités politiques ont-ils été comme vous le souhaitez ? Qu’attendez-vous d’eux ?

CPO : Pour moi, ce sont des rapports de respect. Ce sont nos autorités et comme nous l'enseigne Saint-Paul, nous devons respecter nos autorités. Le respect et aussi la collaboration. « Le peuple n'est pas la propriété des gouvernants, le peuple n'est pas la propriété de l'Église. Le peuple appartient à Dieu et nous ne sommes rien d'autre que des serviteurs de ce peuple ». Dès lors que nous ne comprenons pas cela, il y a un problème. Ceux qui sont établis pour gouverner ce peuple ont droit à notre respect. En tant qu’Église, nous essayons aussi d'être autonome et de sauvegarder notre liberté : autonomie et liberté pour que nous puissions être au service de notre peuple ! Que Dieu nous aide !

 

RAM : Comment appréciez-vous le contexte d’insécurité dans laquelle vit notre pays actuellement ? Comment abordez-vous cette question avec les gouvernants présentement ?

CPO : C'est une préoccupation permanente pour nous tous. Tant qu'il n'y a pas la paix tout est compromis. La situation actuelle est préoccupante. Il nous faut la paix ; il nous faut travailler pour la paix. Moi, je dis souvent que la paix c'est un don de Dieu et la paix c'est aussi le fruit des efforts des hommes. Je dis souvent que la prière c'est notre kalachnikov de riposte. Nous n'avons pas d'autre chose à faire d'abord. Sans un sursaut d'action face à l'ennemi commun nous ne nous en sortirons pas. Il nous faut dépasser nos intérêts personnels, nos intérêts individuels et nos intérêts de groupe pour regarder dans la même direction, c'est ce qui peut contribuer au bien du pays.

 

RAM : Vous portez un intérêt particulier au dialogue interreligieux. On voit votre effort d’approcher les autres dénominations confessionnelles. Comment gérez-vous cette approche assez délicate ? Quelles faiblesses notez-vous à ce niveau ? Et les forces actuelles dans notre pays ?

CPO : Le dialogue interreligieux reste pour nous un grand défi pastoral dans notre contexte. Le Concile Vatican II a beaucoup insisté sur cela. Pour notre vivre-ensemble, nous avons surtout besoin de collaborer, de nous respecter mutuellement. C’est à Ouahigouya que j'ai appris à intensifier cette pastorale du dialogue interreligieux. Les autres confessions jouent aussi le jeu. Ce matin nous étions ici ensemble avec les protestants, les religions traditionnelles, les chef coutumier, les catholiques et les musulmans pour voir ensemble comment nous pouvons faire pour manifester notre solidarité envers notre peuple en souffrance et surtout contribué à sauvegarder le dialogue. Si le dialogue est rompu nous n’avançons pas et nous ne trouverons pas de solution appropriée à notre problème. Le dialogue interreligieux est une grande nécessité, ce n'est pas toujours facile, mais nous n'allons pas baisser les bras.

 

RAM : Quels défis pastoraux persistent encore en vous que vous voulez recommandez aux chrétiens et aux hommes et femmes de bonne volonté ?

CPO : L'essentiel de la vie de foi c'est l'Évangile, l'amour de Dieu et l'amour des frères et sœurs. Il n'y a pas autre chemin pour vivre selon Dieu. Aimer Dieu de tout son cœur, de tout son âme, de tout son esprit et aimer son prochain comme soi-même, il n'y a pas d'autres chemins ; cela résume tous les commandements.

 

RAM : Un vœu à l’occasion de ce jubilé

CPO : Le Pape dit toujours : priez pour moi, et moi je vous dis aussi de prier pour moi. Je ne voudrais pas que ce jubilé, dans ce contexte d'insécurité, soit marqué par des festivités. On met plutôt l'accent sur la prière et une attention aussi aux pauvres et les malades. Le samedi si les choses vont bien, on va célébrer la messe d'action de grâce et nous allons surtout prier pour la paix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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