Catéchèse du Cardinal Philippe OUEDRAOGO lors des Journées Nationales de la Jeunesse (JNJ)

Ouagadougou, 1-5 août 2018

Introduction

« La paix, elle aura tous les âges ! La paix, elle aura ton visage ! La paix sera toi, sera moi, sera nous et la paix sera chacun de nous ! » Tous les peuples du monde aspirent à la paix. Mais, dans le contexte actuel, la paix semble être un idéal. Tout le monde en parle, mais l’on ne sait pas quand est-ce elle s’établira définitivement dans les cœurs des hommes et dans le monde. Elle semble être très fragile, et à tout moment, on ressent le risque qu’elle se brise. C’est sûrement, le sentiment que chacun de nous ressent quand il y a la moindre crise au tour de nous.

Nous voulons vous présenter à travers cet exposé, la première partie du thème de nos JNJ : « Recherche la paix dans le pays où je t’ai établi ». paix, en d’autres termes, il sera question d’une approche globale de la paix. Ainsi, nous verrons dans un premier temps la définition et la typologie de la paix, dans un deuxième temps, nous ferons un parcours biblique de la paix et pour finir nous découvrirons l’enseignement de l’Église sur la paix.

I. Définition et typologie de la paix

1. Définition

Tirant son origine du terme latin (pax,pacis) la paix peut être définie aussi bien au sens positif qu’au sens négatif. Au sens positif, la paix est un état de tranquillité et de quiétude ; en revanche, au sens négatif, la paix est l’absence de guerre ou de violence. Dans le domaine politique et pour le droit international, la paix est la situation et la relation mutuelle de ceux qui ne sont pas en guerre. Il s’agit, dans les deux cas, d’une paix sociale où sont entretenus de bonnes relations entre les communautés d’individus. D’autre part, la paix peut désigner le traité ou la convention (l’accord) établie entre les gouvernants dans le but de mettre fin à un conflit de guerre. Lorsque la paix concerne le plan individuel, en général, elle désigne un état intérieur dépourvu de sentiments négatifs tel que la haine ou la colère. Une personne en paix est quelqu’un qui est tranquille avec elle-même et donc avec les autres. Pour la religion, la paix est également une salutation, étant donné qu’il s’agit d’une valeur que l’on souhaite pour soi-même et pour autrui. C’est pour cette même raison que l’on entend dire l’expression « Que la paix soit avec vous » et, lors de certaines messes, cela inclue un baiser sur le visage (la joue) de la personne qui est juste à côté.

2. Typologie

Ainsi définie, nous pouvons avec Saint Augustin distinguer plusieurs types de paix : La paix du corps, c’est l’agencement harmonieux de ses parties. Quant chaque partie est à sa place et joue son rôle dans le corps.La paix de l’âme sans raison, c’est le repos bien réglé de ses appétits. Ici il est question de ceux qui vivent dans la simplicité. Ils mènent paisiblement leur vie dans l’obéissance aux règles élémentaires de la vie et du bon sens. La paix de l’âme raisonnable, c’est l’accord bien ordonné de la pensée et de l’action.

Saint Augustin parlent des grands érudits qui trouvent la paix intérieure dans la cohérence de la pensée et de l’action.La paix de l’âme et du corps, c’est la vie et la santé bien ordonnées de l’être animé. C’est le souhait de tout homme. Vivre en paix. La paix de l’homme mortel avec Dieu, c’est l’obéissance bien ordonnée dans la foi sous la loi éternelle. La paix des hommes, c’est leur concorde bien ordonnée ; La paix de la maison, c’est la concorde bien ordonnée de ses habitants dans le commandement et l’obéissance ; La paix de la cité, c’est la concorde bien ordonnée des citoyens dans le commandement et l’obéissance ; La paix de la cité céleste, c’est la communauté parfaitement ordonnée et parfaitement harmonieuse dans la jouissance de Dieu et dans la jouissance mutuelle en Dieu ; La paix de toutes choses, c’est la tranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est la disposition des êtres égaux et inégaux, désignant à chacun la place qui lui convient. St Augustin, la cité de Dieu.

II. Parcours biblique de la paix

Le terme « paix » a dans la Bible une richesse et une diversité de sens très grandes. Le mot paix est employé plus de 374 fois dans la Bible et signifie aussi bien le contraire de l’état de guerre que l’état de l’âme qui vit en communion avec Dieu.

C’est d’ailleurs encore aujourd’hui un des vocables préférés des Orientaux, dont le salaam actuel est très proche parent du châlôm hébreu (signifiant : la paix !). Il ne saurait être question de noter ici tous les passages où il est employé. En voici simplement les principaux aspects dans l’un ou l’autre testament.

1. L’Ancien Testament

Dans l’Ancien Testament la paix a une diversité de sens. L’état de paix, au sens strict, entre peuples, soit qu’on le constate (Juges 4.17 et 1 Samuel 7.14), soit qu’on l’établisse (Josué 9.15), ou entre individus (généralement : «  s’en aller en paix  » ; ex. : Genèse 26.31). Mais l’état de paix amène avec lui sécurité, prospérité, bonheur ; le mot s’enrichit donc de ces divers sens (2 Rois 20.19), si bien qu’il peut être traduit par un de ces termes (sécurité, prospérité, bonheur) (Psaumes 73.3 ; Ésaïe 54.13). C’est dans ce sens que la paix est envisagée comme une des caractéristiques du futur Royaume messianique (Ésaïe 2.4 ; Ésaïe 32.17 et suivant).

Tout naturellement, le même mot sert à caractériser ce que devraient être les rapports entre Israël et Dieu (Ésaïe 27.5). C’est d’ailleurs Dieu qui peut donner la paix aux peuples (Psaumes 29.11) et à ceux qui observent ses commandements (Malachie 2.5).

Enfin, la paix de l’âme, la tranquillité du cœur ne se trouvent qu’en Dieu (Lamentations 3.17 ; Psaumes 119.165 ; Ésaïe 26, 3).

2. La paix dans le Nouveau testament

Cette idée de la paix spirituelle (paix de l’âme), que l’on trouve à peine ébauchée dans l’Ancien Testament, va devenir dans le Nouveau Testament celle qu’exprimera dans la plupart des cas où le mot paix est employé. Ce mot est employé près de 90 fois dans le Nouveau Testament et il n’y a pas 10 cas où il ne signifie, avec des nuances diverses, la paix du cœur. C’est celle-là que Jésus laisse à ses disciples et qui ne se trouve qu’en Lui (Jean 16.33). Dans Jean 14.27, il oppose aux salutations du monde, souhaitant « la paix » sans conviction, sa propre salutation qui leur promet malgré son départ la véritable paix.

En ce qui concerne les rapports des siens avec le monde, c’est plutôt la guerre qu’il apporte (Matthieu 10.34). Cependant l’idéal de paix messianique demeure (Luc 1.79), et l’on reconnaît les fils de Dieu à ce qu’ils s’efforcent de procurer la paix (Matthieu 5.9) que seul, d’ailleurs, leur Père peut donner complètement, qu’il s’agisse de la paix entre les hommes ou de la paix de l’âme.

Pour saint Paul (Romains 5.1), la paix avec Dieu s’obtient par la foi et découle de la justification. « Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils » (Romains 5.10). Cette réconciliation permet au chrétien de jouir de « la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence » (Philippiens 4.7) et qui, gardant son cœur et ses pensées, l’inclinera à l’esprit pacifique dans sa vie quotidienne. Cet esprit de paix est un des premiers fruits de l’Esprit (Galates 5.22) et il est inséparable de la reconnaissance (Colossiens 3.15), de la joie (Romains 14.17), du contentement d’esprit (Philippiens 4.11). Il incline le cœur du croyant à l’amour fraternel et à la satisfaction de l’existence que Dieu donne.

Enfin, la paix est devenue le contenu des salutations chrétiennes, appliquant à la vie spirituelle le vœu de toute salutation orientale : on se souhaite la paix en se retrouvant et en se quittant ; elle est ainsi mentionnée au début ou à la fin de toutes les épîtres, sauf celle de Jacques

III. Un regard sur les autres grands courants religieux et philosophique

Le fait qu’aujourd’hui les religions et les cultures manifestent leur disponibilité au dialogue et ressentent l’urgence d’allier leurs efforts pour favoriser la justice, la fraternité, la paix et la croissance de la personne humaine et signe d’espérance nous dis Jean XXIII dans son encyclique « Pacem in terris ». Toutes les religions, reconnaissent en effet que la paix est une chose très précieuse à préserver par tous les moyens. D’ailleurs, la paix est toujours au cœur de la doctrine des différentes religions.

1. L’Islam

Selon le théologien musulman Tariq RAMADAN l’islam est une religion de paix car du point de vu linguistique et étymologique : Le mot Islam a pour racine sémitique « slm » qui veut dire paix, sécurité, ou encore quiétude. Islam appelé également « Istislam » et veut dire aussi « abandon volontaire au dessein divin ». Par conséquent, on peut tout à fait faire le lien entre la définition de la paix et de l’islam, au niveau sémantique et pratique. En effet, selon Tariq RAMANDAN, la Paix est intrinsèque à l’islam. Toutes deux sont unies par un lien indestructible. Pour preuve, en islam, l’un des attributs de Dieu est la Paix.

Le Coran est basé sur les concepts de la bonne moralité, de l'amour, de la compassion, de la miséricorde, de l'humilité, du dévouement, de la tolérance et de la paix. Un musulman qui vit selon ces préceptes moraux est raffiné, réfléchi, tolérant, digne de confiance et obligeant. Il offre l'amour, le respect, la paix et une joie de vivre à ceux qui l'entourent.

2. Les courants religieux

Tous les courants religieux et philosophiques de l’orient bien avant l’ère chrétienne avaient une estime plus accentuée pour la sauvegarde de la paix. Le Confucianisme en passant par le Bouddhisme et le taoïsme avaient dans leur pratique, une place pour l’enseignement pour la recherche de la paix. Si le bouddhisme met beaucoup l’accent sur la paix intérieure, le taoïsme et le confucianisme insiste beaucoup plus sur la paix sociale.

Le bouddhisme par exemple est une doctrine qui montre la voie de la cessation de la souffrance. Le bonheur et la souffrance sont des états d’esprit, leurs causes principales ne peuvent donc pas se trouver en dehors de l’esprit. La source réelle du bonheur c’est la paix intérieure. Si notre esprit est en paix, nous serons heureux tout le temps, quelles que soient les conditions extérieures, mais s’il est perturbé ou troublé d’une manière ou d’une autre, nous ne serons jamais heureux, même si les conditions extérieures sont les meilleures. Finalement, en continuant à améliorer notre paix intérieure, nous connaîtrons une paix intérieure permanente, ou « nirvana ». Une fois le nirvana atteint, nous serons heureux tout au long de notre vie, et ensuite vie après vie. Nous aurons résolu tous nos problèmes et réalisé le vrai sens de notre vie humaine.

3. Le dialogue entre les religions

La paix entre les religions est possible. Elle doit s’axer sur un centre de gravité qu’est le dialogue. D’après le document Dialogue et mission, le dialogue interreligieux est « l’ensemble des rapports interreligieux, positifs et constructifs, avec des personnes et des communautés de diverses croyances, afin d’apprendre à se connaître et à s’enrichir les uns les autres » (Secrétariat pour les non chrétiens, Réflexions et orientations concernant le dialogue et la mission, 3, in DC n° 1880 (2.09.1984), p. 844.) Chacun est invité à progresser à travers ce dialogue et même, à se convertir : « Le dialogue tend à la purification et à la conversion intérieure qui, si elles se font dans la docilité à l’Esprit, seront spirituellement fructueuses ». Le dialogue interreligieux nécessite une connaissance intellectuelle des religions rencontrées, afin de les respecter profondément, car elles témoignent de la recherche de l’homme vers Dieu. Le dialogue nécessite une attitude d’ouverture et d’accueil des autres - « pour les comprendre, sans dissimulation ni fermeture, mais dans la vérité, l’humilité, la loyauté ». Le dialogue doit se vivre dans la réciprocité. Il existe différentes façons de dialoguer : le dialogue de vie, le dialogue des œuvres, le dialogue de l’échange théologique et le dialogue de l’expérience religieuse.

IV. La paix dans l’histoire de l’Église

1. Jésus Christ Notre Paix

Selon, le catéchisme de l’Église catholique, la paix terrestre est l’image de la paix du Christ, le « Prince de la paix » messianique (Is 9, 5). Par le sang de sa croix, il a « tué la haine dans sa propre chair » (Ep2, 16), il a réconcilié avec Dieu les hommes et fait de son Église le sacrement de l’unité du genre humain et de son union avec Dieu. « Il est notre paix. Il a détruit le mur de séparation, la haine... Lorsqu’il a détruit dans son propre corps la Loi avec ses commandements mis en formules, il a fait la paix… » (Ep2, 14-15) et il déclare « bienheureux les artisans de paix » (Mt 5, 9).

2. L’enseignement patristique et magistériel de l’Église

La paix n’est pas seulement équilibre des forces et pure absence de guerre, mais fruit d’un ordre inscrit par Dieu dans la société humaine, naît de l’amour du prochain.

Au XIème siècle, pour Guigues Ier le Chartreux, la paix résulte de la reconnaissance de la vérité. Bernard de Clairvaux, quant à lui, distingue quatre sortes de paix liées aux quatre vertus cardinales (Prudence, force, tempérance et justice) tandis que Pierre le Chantre propose une division tripartite et graduée de la paix : paix temporelle (fausse et trompeuse), paix du cœur (vraie mais préparatoire), paix de l’éternité. C’est cette dernière que tous aspirent.

Pour le concile Vatican II « la paix doit naître de la confiance mutuelle entre peuples au lieu d’être imposée aux nations par la terreur des armes » ; Il est difficile et « inutile de rechercher la paix tant que les sentiments d’hostilité, de mépris et de défiance, tant que les haines raciales et les partis pris idéologiques divisent les hommes et les opposent » GS 82.

« La paix n’est qu’un mot vide de sens, si elle n’est pas fondée sur l’ordre dont nous avons, avec une fervente espérance, esquissé dans cette encyclique les lignes essentielles, ordre qui repose sur la vérité, se construit selon la justice, reçoit de la charité sa vie et sa plénitude, et enfin s’exprime efficacement dans la liberté » (Jean XXIII, Pacem in terris n° 167, 11 avril 1963). Et Jean-Paul II va renchérir dans Sollicitudorei socialis que l’objectif de la paix « sera certainement atteint grâce à la mise en œuvre de la justice sociale et internationale… » Jean-Paul II, encyclique Sollicitudorei socialis, 39.

3. L’enseignement du magistère local

Nos pères les évêques du Burkina ont aussi donné des enseignements et des recommandations pour la consolidation de la paix au Burkina. Ils sont intervenus soient individuellement ou collégialement, et ce à chaque époque de notre histoire. Le Cardinal Paul ZOUNGRANA parlant de la paix invitera les chrétiens de la Haute-Volta dans son homélie de Noël 1978 à travailler à la consolidation de la paix en ses termes : « Frères de Haute-Volta, petits et grands, croyants et vous tous qui cherchez la vérité, écoutez la voix de Dieu. En des cœurs troublés, déchirés, comment pourrait venir celui que les prophètes avaient salué comme le prince de la paix…Notre Dieu est un Dieu d’amour et de paix. Pour qu’il demeure avec nous et écoute notre prière, abattons entre nous les murs élevés par l’incompréhension et trop de querelles souvent stériles, renonçons à faire de la force et de la richesse les critères de la vérité, au déni de la vraie justice et de la paix. »

Les évêques dans les deux dernières lettres à la nation burkinabé sont encore revenus sur la nécessité de construire ensemble une paix durable pour une nation prospère. Ils disaient dans leur lettre de Pâques ceci « La justice, le dialogue et l’amitié entre les citoyens, les communautés et les peuples sont les meilleures réponses à moyen et à long termes dans la lutte contre la haine, le mépris, l’intolérance, les discriminations et la violence » (Lettre des évêques du Burkina Faso, Pâques 2018, n°10).

Conclusion

La paix ne peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. La paix est œuvre de la justice et effet de la charité. Au terme de ce parcours, nous retiendrons que le désir de la paix est intrinsèque à chaque personne humaine. Tous les peuples aspirent à la paix. Mais cette paix reste toujours à construire par les hommes et avec les hommes. Comment peut-on la construire dans le contexte actuel de notre pays ? La deuxième partie de l’exposé abordera cet aspect du sujet.

 

+ Philippe Cardinal OUEDRAOGO,
Archevêque Métropolitain de Ouagadougou

 

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