570 ou 580.
Naissance de Mahomet à la Mekke, dans la famille de Qoraïch. L’événement ne saurait être daté avec certitude. L’appellation de ‘am al-fîl (ou l’année de l’éléphant) traditionnellement reçue, placerait la naissance du Prophète l’année où sa ville natale aurait été attaquée par les Abyssins, maîtres de l’Arabie méridionale (et possesseurs d’éléphants, tout au moins d’un éléphant !). Mais cette attaque dirigée par leur chef Abraha a dû avoir lieu bien avant 570 [1]. La notation la plus sûre sur la naissance du Prophète nous est fournie par le Coran et elle est suffisante. Le Prophète dit à ses compatriotes incrédules : « Je suis demeuré toute une vie (« ‘umr ») parmi vous avant cette prédication. » (Coran 10, 16). Il s’agit de la « durée d’une génération » [2]. Mahomet aura commencé son ministère prophétique, comme cela se passait à l’ordinaire dans le monde sémitique, à l’âge d’homme mûr ; il devait avoir trente ou quarante ans [3]. Une datation plus précise de sa naissance est assez indifférente en elle-même.
595 ou 605.
A l’âge de 25 ans, Mahomet épouse une riche veuve qui en avait quarante, Khadîja, au service de laquelle il s’était engagé. Elle fut d’ailleurs la première, selon la tradition islamique, à croire en la mission de son époux. Elle lui donna quatre filles, dont Fatima seule survécut et assura à son père une descendance. Khadija mourut peu avant l’Hégire. Mahomet fut grâce à elle un marchand aisé, peut-être un caravanier. Cependant, ses voyages présumés en Syrie et ses contacts possibles avec des chrétiens, des moines notamment (Bahîra), ne semblent pas suffisamment attestés [4].
612 à 622.
Comme toutes les origines, l’inspiration religieuse primitive du Prophète de l’Islam demeure obscure. Mais on ne peut non plus dater avec précision l’ensemble de la prédication qu’il entreprit dans sa ville natale et qui constitue la première partie de son ministère. Subdivisée en trois petites périodes, on assigne généralement à cette prédication une durée égale à la période médinoise, soit dix ans environ.
Deux faits méritent au cours de ces dix ans une mention spéciale :
La prédication toute primitive du Prophète se contentait de menacer les incrédules d’un jugement imminent. Cela n’était pas pour effrayer outre mesure les solides commerçants de la Mekke, d’autant que l’heure qui devait sonner ne sonnait pas. Mais quand Mahomet en vint à la personne même du Juge, le Dieu unique, et à affirmer son existence à l’exclusion de toute autre divinité, les Mekkois se mirent à craindre pour leurs idoles et les revenus dont elles étaient la source lors du pèlerinage annuel. Ils suscitèrent alors une opposition plus vive à son endroit, au point qu’un certain nombre des premiers adeptes de l’Islam durent s’exiler en Abyssinie.
C’est durant cette période également que se passe, phénomène mystique de grande importance aux yeux de l’Islam traditionnel, le voyage nocturne ou Isrâ de Mahomet, dont il est question au premier verset de la sourate XVII. La tradition musulmane y associe le Mi’râj ou ascension céleste à parti d’El-Aqsä [5]. Avec l’exil de ses compagnons en Abyssinie, nous avons ainsi schématiquement les deux circuits que semble avoir parcourus l’inspiration prophétique pour se poser finalement en leur point de tangence, à la Mekke : le premier, méridional, passe par l’Abbyssinie (et le Yémen, auquel l’Abyssinie est étroitement liée) et l’autre, vers le Nord, par le Temple de Jérusalem. Nous essaierons de définir plus bas la portée exacte de cette double qibla ou orientation primitive [6].
622.
C’est la date sinon la plus sûre, du moins la plus importante de la vie du Prophète. C’est celle que l’Islam a retenue comme le début d’une ère nouvelle. L’opposition des Mekkois est de plus en plus vive. En revanche, des habitants de Yathrib (200 km au Nord de la Mekke), yéménites d’origine, se rendent à la prédication de Mahomet et concluent avec lui un pacte où ils s’engagent à renoncer aux idoles et à le protéger. Le Prophète décide de s’exiler chez eux. Ses fidèles le devancent. Il s’expatrie le dernier, avec un compagnon (‘Ali ? Abou-Bakr ; Coran 9, 40). C’est le 12 rabî’ler, 24 sept. 622. C’est l’an 1 de la Hijra (l’Hégire).
624-630.
Les Mekkois qui ont devancé le Prophète à Yathrib sont appelés Muhâjirûn (émigrés). Les habitants de la ville qui l’accueillent sont les Ansâr (partisans). Et Yathrib devient Médine (Madînat’ul-Nabî, la ville du Prophète).
Cependant, il faut encore compter, comme à la Mekke, avec des incrédules (Munânfiqûn). Il faut surtout pourvoir à la subsistance des émigrés. Un pacte de fraternité entre Muhâjirûn et Ansâr (Coran 33, 6 ; 8, 56) ne semble pas y suffire. Deux séries conjuguées d’opérations militaires et punitives vont y pourvoir : contre les caravanes mekkoises d’un côté, contre les juifs médinois de l’autre.
Toutefois, cette raison qu’on peut dire économique, ne suffit pas à expliquer les opérations dirigées par le Prophète contre ses compatriotes [7]. Le refus de la foi nouvelle par des juifs de Médine ne suffit pas à expliquer le détournement vers la Mekke de la toute primitive communauté musulmane, alors que Jérusalem avait été choisie comme première qibla pour la prière. Ces raisons précises déterminent seulement et hâtent l’exécution d’une vue sans doute plus intérieure et plus ancienne, d’inspiration principalement religieuse. Mahomet va rétablir le monothéisme abrahamique sur ses fondements au désert d’Arabie, le Temple de la Ka’ba purifié des idoles [8].
L’an 2 de l’Hégire.
La première opération militaire du Prophète se situe à Badr [9]. Mahomet laisse surprendre durant le mois de rajab considéré comme une période de trêve sacrée, une caravane mekkoise revenant de Syrie. Les Mekkois laissent quarante-neuf d’entre eux sur le terrain. C’est un « jour décisif » [10]. Allah s’est prononcé pour le Prophète contre ses compatriotes.
Après Badr, les juifs médinois de la tribu de Qaïnoqa’ sont dépouillés de leurs biens. Ils s’exileront en Syrie.
L’an 3 de l’Hégire.
Les Mekkois rassemblent trois mille hommes pour se venger du Prophète. Celui-ci s’était établi avec les siens sur les pentes du mont Ohod. Il est blessé et son oncle Hamza, tué. Les siens sont pris de panique. Mais leur retraite sur Médine est assurée. Les Mekkois ne mettent pas davantage à profit leur victoire. C’est encore, pour l’Islam, un jour décisif.
Après Ohod, les croyants se vengent sur les juifs médinois de la tribu de Nadîr, qui s’exilent dans l’oasis de Khaïbar, au Nord de l’Arabie.
L’an 5 de l’Hégire.
Les Mekkois lancent une nouvelle campagne contre la ville d’adoption du Prophète. Mais celui-ci, sur les avis d’un ami persan, Salmân [11], l’aura fait entourer d’un fossé (khandaq). De guerre lasse, les Mekkois lèvent le siège et se retirent. Le Jour du Fossé est au nombre des Jours d’Allah, ayyâm Allah.
Une troisième intervention contre les juifs médinois corrobore la victoire du Fossé. Après les Quaïnoqua’ et les nadîr, il restait les Banû-Quraïza. Accusés de collaboration avec l’ennemi, les hommes sont passés au fil de l’épée, les femmes et les enfants vendus comme esclaves. C’est la fin de l’histoire des juifs de Médine [12].
L’an 6 de l’Hégire.
Le Prophète décide de marcher sur la Mekke, non pas en guerrier, mais en pèlerin. C’était d’ailleurs l’un des mois sacrés, Dhû’l-Qa’da. Il part avec quelques compagnons, tous en état de sacralisation (ihrâm), pour accomplir une ‘umra (petit pèlerinage). Les Mekkois s’opposent à leur entrée dans la ville sainte et le Prophète établit son camp à Hodeïbîya. C’est là qu’il réussit à conclure avec ses irréductibles adversaires un armistice qui fut bien décevant pour ses compagnons, mais qui est bien le signe le plus indubitable de son génie politique. Il accepte de ne pas entrer dans la ville sainte cette année-là, les Mekkois s’engageant à l’évacuer l’année suivante, pendant trois jours, afin de permettre aux musulmans d’accomplir leur pèlerinage. C’était une bien maigre satisfaction pour le sentiment humain, d’autant que dans le texte du traité, les Mekkois n’avaient pas voulu de l’appellation Envoyé de Dieu pour désigner leur interlocuteur, mais simplement de Muhammad, fils de ‘Abdallah. Cependant l’essentiel était acquis : ils traitaient avec lui d’égal à l’égal.
630.
Il n’en était plus ainsi en janvier 630. Des tribus bédouines s’étant ralliées à lui et nombre de compatriotes de renom s’étant convertis, Mahomet décide de marcher sur la Mekke. La ville n’y oppose aucune résistance. Le Prophète y entre sans coup férir, se dirige droit vers le temple, va toucher la Pierre Noire au cri d’Allâhu akbar (Dieu seul est grand) et fait détruire sur le champ les idoles qui encombraient l’enceinte sacrée. C’était la fin du paganisme arabe. C’était aussi le début d’une nouvelle communauté fraternelle, la piété envers Allah y mesurant l’honneur dû à chacun [13].
Ce moment ne devait pas manquer de grandeur. Si l’Hégire mérite d’ouvrir l’ère musulmane, celui-ci en est déjà un sommet. La tâche du Prophète peut être du reste, considérée comme terminée. Les chrétiens du Najrân se soumettent à lui et la paix leur est garantie moyennant le paiement d’un tribut ; c’est la mubâhala et le début du statut personnel des dhimmî [14]. Une expédition dirigée vers le nord de l’Arabie échoue. Mais c’est encore du vivant de Mahomet le branle donné à l’expansion islamique à travers le monde. La mort du Prophète survient le 13 rabî’ler de l’an 10 H., 8 juin 632. Il aura accompli trois mois auparavant, le pèlerinage d’adieu à sa ville natale et au Temple sacré, hijjatu’l-wada’.
Notes :
Translittération de l’arabe : En dehors des transpositions courantes des noms et des mots arabes (Mahomet pour Muhammad, Coran pour Qur’ân, etc.), nous avons adopté un système de translittération dénué de technicité, mais permettant au lecteur non initié d’approcher au mieux la prononciation de l’original. Ce manque de technicité, qui ne comporte aucun risque d’erreur pour ceux qui savent, n’en cache pas davantage pour ceux qui ignorent.
[1] Voir notre Epigraphie sud-sémitique et la naissance de l’Islam, Eléments de bibliographie et lignes de recherches, dans la Revue des Etudes Islamiques, Paris, Geuthner, 1955-1956, 120p.
[2] Cf. R. Blanchère, o. c. 1ère édit. t. I, pp 1ss et t. II, p. 562, note 17.
[3] Cf. Luc III, 23 ; Jean VIII, 57.
[4] Cf. Shorter Encyclopaedia of Islam, Leiden, 1953, art. Muhammad, p 391, col. 2 et art. Bahîra, pp. 55-6. Voir infra 2ème partie § b et c.
[5] Cf. L. MASSIGNON, L’Oratoire de Marie à Aqça vu sous le voile de deuil de Fatîma, Mardis de Dar el-Salam, MCMLIV Paris, 1956.
[6] « Nous voyons ton visage tournoyer en tous sens (et ton regard interroger) le ciel. Nous allons te fixer une Direction (Qibla) qui t’agrée. » (Coran 2, 139, trad. libre.)
[7] Concernant une expliquant « sociologique » de la mission de Mahomet, cf. notamment les études du presbytérien écossais Montgomery WATT, Mahomet à la Mekke ; Mahomet à Médine, 2 vol., Oxford, Clarendon, 1953 et 1956, et l’écho qui leur a été fait en France dès avant leur traduction. Cf. M. RODINSON, La vie de Mahomet et le problème sociologique des origines de l’Islam, Diogène, n°20, oct. 1957 pp. 37-64.
[8] Cf. infra, 2e partie, § a et c, pp. 24.31.
[9] Une escarmouche préliminaire s’était engagée à Nakhla, à la suite de laquelle le Prophète avait dû appuyer par une révélation (2, 217) son initiative de combat durant un mois sacré. Avec le butin rapporté de Nakhla, cela finit par décider Emigrés et Ansâr, à entreprendre l’opération de Badr.
[10] Cf. Coran 3, 123 ; 8, 5ss « Ce n’est pas vous qui les avez tués, c’est Dieu qui les a tués ; et ce n’est pas toi qui a visé, quand tu as visé, mais c’est Dieu qui a visé » …
[11] Cf. L. MASSIGNON, Salmân Pâk et les prémices de l’Islam iranien, Soc. Et. Iraniennes, n°7, Tours, 1934, 52 p. Trad. ar. A. R. BADAWI, Shakhsîyat qaliqa, contenant l’original des textes allégués.
[12] Cette extermination systématique des juifs médinois grève lourdement les débuts de l’Islam. Elle doit être néanmoins située dans les mœurs du temps et la mentalité religieuse de l’époque, de la même manière que l’extermination des Chananéens par les Israélites pénétrant dans la Terre Promise. Si d’autre part, ce conflit meurtrier et ce traitement inhumain ont profondément marqué la suite des relations entre musulmans et juifs, il ne faudra pas manquer de comparer cet ordre de choses à celui qui a régné entre juifs et chrétiens au Moyen Age et jusque dans les temps modernes. Il n’est pas sûr que ce soit à l’avantage et à l’honneur des disciples et des frères de Jésus. Cf. F. HOURS, Parole et Mission, 2, pp. 393-402.
[13] Coran 49, 13 : « Le plus honorable parmi vous, aux yeux de Dieu, l’est pour sa piété ».
[14] Cf. L. MASSIGNON, La Mubâhala de Médine et l’Hyperdulie de Fâtima, Paris, Maisonnneuve-Besson, 1955. Pour le statut juridique créé par le pacte avec les Najranites, cf. L. GARDET, La cité Musulmane, Paris, Vrin, 1954, pp. 344-349 : « Le statut de protection (dhimma) » et ID., Connaître l’Islam, Paris, Fayard, pp. 58-61. Pour le retentissement mystique de cette ordalie manquée entre l’Islam naissant et les chrétiens, cf. G. BASETTI-SANI, Mohammed et Saint François, Ottawa, Custodie de Terre Sainte, 1958.
Y. MOUBARAC
Dans : L’Islam, Paris, Casterman, 1962, 213 p.
Pages 16-22.