a. D’où vient la Rose-croix ?

[1] Historiquement, la Rose-croix est née au début du 17ème siècle du désir d’établir la paix et la compréhension entre catholiques et protestants, afin de faire cesser les guerres de religion qui ravageaient l’Europe. Ce fut un mouvement élitiste qui s’inspira de l’organisation de la franc-maçonnerie spéculative, distincte de la franc- maçonnerie manuelle des architectes, maîtres d’œuvre et sculpteurs qui travaillaient dans les grands chantiers des églises et des cathédrales. [2] La Rose-croix eut une existence discrète. Puis, au 20ème siècle, elle fut relancée sous le nom d’AMORC (Ancient and Mystical Order Rosae Crucis) par le journaliste américain H. Spencer Lewis qui avait voyagé et s’intéressait aux traditions ésotériques. H. S. Lewis prétend que la Rose-croix connaît des périodes d’effacement au cours desquelles elle se revitalise, puis des renaissances. L’AMORC s’est développée dans le monde, organisée comme une entreprise moderne, avec son université, ses formations par correspondance, ses ouvrages, ses rites. Mais il existe d’autres mouvements Rose-croix.

b. AMORC (Ancient and Mystical Order Rosae crucis)

Ancient

Sa tradition remonterait aux origines de l’humanité

Mystique

Il donne accès à la connaissance du monde invisible grâce à un savoir secret.

Ordre

Par une initiation progressive, il introduit dans une fraternité qui offre un appui pour réussir socialement.

Rose-croix

Le symbole de la Rose-croix est donc une rose rouge sur une croix. La rose rouge symbolise la beauté et la fragilité de la vie. La croix n’est pas la croix chrétienne, mais le signe des points cardinaux. Grâce à ce symbole, les initiés se reconnaissent entre eux.

c. Le « Credo » rosicrucien

La Rose-croix est un mouvement d’inspiration gnostique dans lequel les membres entrent progressivement dans la connaissance qui les illumine et les font communiquer avec la force cosmique. Leur connaissance ne résulte pas d’une foi reçue à laquelle ils adhèreraient, mais d’une lumière qui les inonde et à laquelle on ne peut opposer d’objections tant elle s’impose comme évidente. C’est pourquoi le « credo » rosicrucien est une série d’affirmations : « Je sais que... ». En voici un extrait (Manuel Rosicrucien, Paris, 1972, p. 234).

1. Je sais qu’il y a une force cosmique qui est à l’origine de toutes les choses visibles et invisibles, dont l’essence se propage dans tout l’univers et dont l’esprit et la conscience constituent la personnalité de l’homme.

3. Je sais que la sagesse universelle, telle qu’elle se manifeste par les lois de ta nature, justifie notre foi en l’omnipotence, l’omniprésence et l’amour cosmique dans notre existence.

5. Je sais que la chair seule est faillible et que, seule la conscience ne peut être dans l’erreur ; je sais que pour chaque erreur, la chair et la conscience humaine doivent une compensation, car l’homme est né avec une personnalité bonne et c’est de l’ignorance, et de l’ignorance seule, qu’il doit être délivré.

7. Je sais que les grands initiés de la fraternité visible représentent les maîtres invisibles de la grande fraternité blanche et qu’ils accomplissent un service cosmique.

Sous-jacente à l’attitude du rosicrucien, il y a le désir de l’homme d’atteindre le savoir par lui-même, sans le recevoir d’un être supérieur. Il y a le refus d’être sauvé par Dieu et la volonté de se sauver soi-même par la connaissance. H.S. Lewis a écrit ; « En développant notre activité. Nous ferons de nous-mêmes le Destin ».

d. Vocabulaire rosicrucien

(D’après le Manuel rosicrucien, ouvrage cité).

Âme (p. 243) « C’est à tort qu’on parle de l’âme en l’homme ou de l’âme de L’homme comme si chaque être humain ou chaque organisme conscient avait à l’intérieur de son corps, sur ce plan terrestre, quelque chose de distinct ou de séparé que nous appelons âmes. Cela est assurément faux. Il n’y a qu’une seule âme dans l’univers, l’âme cosmique, la conscience universelle, vivante et vitale. En tout être humain se trouve un segment inséparable de cette âme cosmique, et ce segment constitue l’âme humaine. Elle ne cesse jamais de faire partie de l’âme cosmique, pas plus que l’électricité dans une série de lampes en circuit n’est une quantité d’électricité séparée, sans lien avec le courant passant dans les lampes. C’est de ce point de vue que l’on doit considérer les hommes comme frères. »

Dieu (p. 249) « L’ordre rosicrucien considère qu’un terme ne doit jamais être rejeté ou supprimé sous prétexte qu’il a revêtu pour certains, dans des milieux particuliers et à certaines époques, un sens inacceptable pour d’autres, et en particulier pour beaucoup en notre temps [3]. Dans les rituels symboliques, les enseignements et les méditations de l’ordre, l’expression « Dieu de nos cœurs » est donc couramment utilisée. Elle désigne pour chacun le Dieu qu’il peut concevoir, comprendre ou admettre et, à l’extrême, pour certains membres, le Dieu de leur cœur est la part d’inconnu dans le monde ou l’univers, ce qui n’est pas encore expliqué, mais à leur avis pourra l’être tôt ou tard. Pour d’autres, le Dieu qu’ils conçoivent, dont ils peuvent être conscients, qui tôt ou tard se manifeste en l’homme en une étrange intimité, est le Dieu de leur cœur. Dans toutes les parties du monde, il y a des rosicruciens de foi et de croyances religieuses différentes. Dans les anciens rituels, on trouve cette déclaration : « L’homme est Dieu et fils de Dieu et il n’y a pas d’autre Dieu que l’homme ». Mais cela a un sens mystique et ne doit pas être pris au sens littéral. L’ordre rosicrucien, dans son enseignement, se réfère surtout à une intelligence, une conscience universelle et un pouvoir infini. Rappelons qu’il n’y a dans l’ordre aucun dogme. L’enseignement propose seulement et offre une base à la méditation et à la réflexion. Il n’impose pas. »

Ces citations sont suffisamment éloquentes pour faire ressortir le gnosticisme et le panthéisme de l’AMORC. Elles font sentir l’habileté avec laquelle l’AMORC vide la notion de Dieu, tout en laissant aux sympathisants l’illusion qu’ils peuvent continuer à y croire. Le « Dieu de nos cœurs » est une manière d’évoquer la part de mystère de notre vie.

e. Rose-croix et foi chrétienne

Remarques

Les textes cités donnent un aperçu du langage et des principes des rosicruciens. On remarque que les rosicruciens donnent à des termes un sens autre que celui qui est connu, d’où des confusions : ils parlent de « personne » et « d’âme », mais, en fait, il n’y a pas pour eux de personne individuelle créée à l’image de Dieu. Selon eux, nous n’avons d’existence que parce que nous sommes branchés sur le grand courant cosmique. C’est cela qui nous met rapport avec le savoir universel.

Deuxième remarque : La conception des rosicruciens repose sur un panthéisme hylémorphique. L’hylémorphisme signifie que le cosmos est composé d’une forme invisible, l’esprit cosmique, et de la matière visible animée par cet esprit. Selon cette théorie, la matière n’a pas de commencement. Elle est éternelle comme l’esprit qui l’anime et en est inséparable. Il n’y a pas de Dieu transcendant, antérieur au cosmos.

Initiation ou révélation ?

Position du rosicrucien : l’homme accède par lui-même au savoir (à l’aide de l’initiation reçue). Il n’a rien à attendre d’un Sauveur, puisque d’une part tout le savoir est contenu dans le cosmos et est déjà connu par les grands sages. D’autre part, les limites intellectuelles de l’homme ne proviennent pas du péché (qui est une invention des religions) mais de l’ignorance dont le savoir le libère.

Réponse du chrétien : l’homme demeure un mystère pour lui-même, ainsi que le cosmos. Les grands sages rosicruciens sont loin de l’avoir découvert. Le péché est hélas une réalité : haine, guerre, crimes... La révélation divine aide l’homme à mieux se connaître et à se libérer de l’emprise du péché qui gauchit sa raison et limite ses connaissances.

Esprit cosmique immanent ou Dieu transcendant ?

Le « credo » rosicrucien affirme : « Je sais que l’essence de Dieu se propage dans tout l’univers et que son esprit et sa conscience constituent l’âme de l’homme ».

Réponse du chrétien : un tel Dieu n’a rien à voir avec le Dieu créateur et personnel des juifs et des chrétiens. Pour ces derniers, Dieu ne se confond pas avec le cosmos : il a créé le monde visible et invisible à partir de son amour, sans rien se retirer à lui-même. Dieu donne réalité aux êtres. Il ne peut être confondu avec ce qu’il a créé. Il manifeste sa perfection dans la nature. Il se manifeste aussi personnellement dans sa relation avec les hommes. Spécialement avec Israël, puis par l’Incarnation de son Fils Jésus, Incarnation qui exprime totalement son amour et son pardon à l’humanité. Cette relation de Dieu aux hommes se poursuit par l’Esprit dans L’Église.

Jésus est-il un Grand maître rosicrucien ou le Fils de Dieu ?

L’AMORC prétend donner une connaissance de Jésus plus complète que celle qui est contenue dans le Nouveau Testament, ceci grâce à des « écrits secrets ». En effet, H.S. Lewis, le rénovateur de l’AMORC, écrit : « Les Pères de l’Église ont (ils) eu tort ou raison d’autoriser la publication d’une vie de Jésus incomplète, en partie erronée et considérablement voilée, telle qu’elle nous est donnée dans la Bible » [4]. Selon cette théorie, les Pères de l’Église qui ont établi le canon des Écritures ont écarté un certain nombre de textes. Il s’agit notamment des évangiles apocryphes. Tout n’est pas faux et inutile dans ces textes, mais la plupart d’entre eux ne sont pas écrits par de véritables témoins (apôtres, évangélistes) et ne font pas preuve de rigueur et de cohésion sur la personne de Jésus. Précisément, certains rédacteurs de ces textes ont été influencés par les religions à mystères de l’époque. Se basant sur des textes d’inspiration initiatique, H.S. Lewis prétend que Jésus a parlé en secret. Les Rose-croix s’appuient aussi sur les écrits gnostiques (voir Annexes : le gnosticisme).

Pour les rosicruciens, Jésus n’est qu’un sage parmi d’autres. Il a été initié pour devenir un grand maître : il a été envoyé se former en Égypte – où il avait une belle résidence avec des serviteurs –, en Inde, etc. Il s’est contenté de reprendre la tradition de ses prédécesseurs. Il n’est pas fils de Dieu puisqu’il n’y a pas de Dieu personnel. Jésus n’est pas mort sur la croix : il a été mis en croix, mais ses amis rosicruciens (qui seraient les Esséniens) se sont empressés d’envoyer quelqu’un à cheval à Rome pour avertir l’empereur Tibère lequel a donné l’ordre de détacher Jésus de la croix (comment a-t-il pu rester en vie si longtemps ?). Les Esséniens ont soigné Jésus dans le tombeau et, le matin du 3ème jour, Jésus a pu être emmené en convalescence sur un cheval ! Puis, il s’est retiré sur le mont Carmel où il est mort quelques années après [5]. Comment des gens sérieux et apparemment instruits peuvent-ils soutenir de telles balivernes et y croire ?

Réponse : Relisons Saint Luc (1,1-4) :

« Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des évènements qui se sont produits parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j’ai décidé moi aussi, après m’être informé soigneusement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi, illustre Théophile, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus. »

Ce texte est éloquent (voir les mots soulignés). Si Marc et Luc n’ont pas été des apôtres, du moins ont-ils été respectivement les fidèles compagnons de Pierre et de Paul. Tous ces hommes se sont dépensés et ont donné leur vie au service de la Parole.

En communion avec les Apôtres et leurs successeurs (les évêques), le chrétien croit que tout nous a été révélé sur Dieu en Jésus, comme l’Écriture nous le fait connaître. Jésus a toujours parlé en public, connue il l’a rappelé devant le grand prêtre, lors de son procès :

« C’est au grand jour que j’ai parlé au monde, j’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple ou tous les Juifs s’assemblent et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interroges-tu ? Demande à ceux qui ont entendu ce que je leur ai enseigné ; eux, ils savent ce que j’ai dit » Jean 18, 20-21.

f. Conclusion

II est donc évident qu’on ne peut pas être en même temps un chrétien convaincu dans sa foi et un rosicrucien. Ce sont deux systèmes opposés. Si quelqu’un prétend être les deux en même temps, il se trompe sur la foi chrétienne ou sur la doctrine rosicrucienne, ou sur les deux à la fois. L’engagement dans l’AMORC détourne de l’engagement dans l’Église.

Notes :

[1] Gorceix Bernard, La Bible des rose-croix, Paris, PUF, 1970, 125p. Cet ouvrage donne une bibliographique et démystifie le rôle de Johann Valentin Andrae (1585-1654) dans l’invention de la rose-croix. Foss-Heindel Augusta, Histoire des rose-croix et de l’Association rosicrucienne. Hendel Max, Origines de la franc-maçonnerie et du Catholicisme, Paris, Ed. JEP Diffusion, 1966.

[2] Franc maçonnerie spéculative et manuelle : voir infra (à Franc Maçonnerie) la définition des mots.

[3] Le Manuel rosicrucien signifie par là que certaines religions (judaïsme, christianisme, …) croient que Dieu est un être personnel au-dessus de toute la création. Pour les Rosicruciens, cette croyance est dépassée !

[4] H.S. Lewis, La Vie mystique de Jésus, Villeneuve-Saint-Georges, Ed. rosicruciennes, 1977, p. 11.

[5] H.S. Lewis, Ibid, pp. 184-185. L’auteur s’emploie à interpréter dans son sens et à déformer les principaux passages de la Bible.

Père Yves MOREL
Société des Jésuites
Dans : Le défi des sectes, des N.M.R. et des intégrismes, Abidjan, INADES, 1999.