Communauté Sant’Egidio

RENCONTRE INTERNATIONALE POUR LA PAIX

Bologne, 14-16 octobre 2018

PANEL 5 : « Children Beg for peace. »

 

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Honorables invités à cette rencontre internationale pour la paix,

C’est pour moi un honneur de prendre la parole à cette importance rencontre qui porte la marque de « l’esprit d’Assise » comme réponse aux guerres et aux crises qui secouent le monde d’aujourd’hui.

Je redis ma gratitude, toujours renouvelée à la Communauté de Saint Egidio, plus particulièrement à son fondateur, Prof. Andrea Riccardi, pour son effort constant de sensibiliser les responsables des États et des religions sur l’impératif vital de l’humanité, celui de la justice et de la paix. On ne cessera de le dire : Il n’y a pas de paix sans dialogue vrai. Et le dialogue ne peut se construit sans une ouverture bienveillante à l’autre, à sa culture, à sa religion, à ses traditions. En tant que représentants de nos différentes religions et cultures, nous avons la lourde responsabilité de conduire le monde vers une plus grande ouverture d’esprit et de cœur pour bâtir une fraternité universelle dans laquelle, « il n’y aura, ni païens, ni juifs, ni chrétiens, ni musulmans, ni esclaves, ni hommes libres. Car, comme le dit l’apôtre des nations, nous sommes tous, enfants de Dieu, citoyens de la cité céleste, appelés à briller comme des astres dans l’univers ». (Cf. Col. 3, 11).

Pour atteindre cette fraternité universelle, le Pape François dans son discours aux participants à la conférence internationale pour la paix, tenue en Egypte en avril 2017, proposent trois orientations fondamentales : « le devoir de l'identité, le courage de l'altérité et la sincérité des intentions ». Le devoir d'identité, car on ne peut pas bâtir un vrai dialogue sur l'ambiguïté ou en sacrifiant le bien pour plaire à l'autre; le courage de l'altérité, car celui qui est différent de moi, culturellement et religieusement, ne doit pas être vu et traité comme un ennemi, mais accueilli comme un compagnon de route, avec la ferme conviction que le bien de chacun réside dans le bien de tous; la sincérité des intentions, car le dialogue, en tant qu'expression authentique de l'humain, n'est pas une stratégie pour réaliser des objectifs secondaires, mais un chemin de vérité, qui mérite d'être patiemment entrepris pour transformer la compétition en collaboration ».

Ce dialogue pour la paix doit être transmis, enseigné et traduit en culture pour nos enfants, et nos jeunes d’aujourd’hui, appelés à inventer un monde sans violence et sans haine. C’est pour quoi la religion doit devenir une école de transmission de la paix et non de la haine et du rejet de l’autre.

La religion doit redevenir un canal pour la transmission de la culture du dialogue et de la paix aux enfants du monde.

Le préambule de la charte de l’UNESCO stipule que « les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, et c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix » (Préambule de l’acte constitutif de l’UNESCO).

« Cela n’est possible qu’à travers une éducation de qualité basée non seulement sur la transmission des connaissances de la science et de la foi, mais aussi et surtout sur la transmission des valeurs cardinales qui fondent toute société respectueuse de la vie et de la dignité humaines. Et dans le contexte actuel de notre monde divisé et traumatisé par les différentes revendications à la fois culturelles et religieuses, la valeur du respect de l’autre dans sa différence doit devenir un objectif à atteindre par les leaders religieux, mais aussi par les politiques et ceux qui décident de la conduite des affaires de notre monde » (Anicet LILIOU, Le dialogue interreligieux au Burkina Faso: Préserver l’existant et consolider la culture du vivre-ensemble, Chaire UNESCO, Lyon 2017, p.46).

Le décalogue d’Assise pour la paix nous engage par ailleurs, « à éduquer les personnes au respect et à l’estime mutuels, afin que l’on puisse parvenir à une coexistence pacifique et solidaire entre les membres d’ethnies, de cultures et de religions différentes » (Décalogue d’Assise pour la paix, article 2). Le dialogue pour la paix ne doit pas être le seul apanage des leaders religieux, mais doit être transmis comme socle de fondation d’une société humaine débarrassée des barrières religieuses et culturelles.Il s’agit plus spécialement d’apprendre aux enfants à voir en Dieu un père bienveillant et miséricordieux pour tous ses enfants. Leur apprendre que l’autre est mon frère ou ma sœur même s’il prie Dieu de manière différente de la mienne. Leur apprendre à voir en l’humanité une même et unique famille que la religion et la culture ne doivent pas séparer. Rater cette mission combien fondamentale et même existentielle, c’est manquer gravement à notre devoir de protéger l’humanité contre les dangers de la division, alimentés par les replis identitaires, religieux et culturels.

Il est temps de semer les graines de la paix dans l’esprit de nos enfants pour que grandissent en eux les fleurs de l’amour et du bien de tous. C’est pourquoi, « aujourd’hui plus que jamais, nos traditions religieuses ont la lourde responsabilité de transmettre aux jeunes « La sagesse (qui) recherche l'autre, en surmontant la tentation de se raidir et de s’enfermer ; (cette sagesse), ouverte et en mouvement, humble et à la fois en recherche, sait valoriser le passé et le mettre en dialogue avec le présent, sans renoncer à une herméneutique appropriée. Cette sagesse prépare un avenir dans lequel on ne vise pas à se faire prévaloir, mais à faire prévaloir l'autre comme partie intégrante de soi » (Discours du Pape François aux participants à la conférence internationale pour la paix, Égypte, 29 avril, 2017).

L’esprit d’Assise, mesdames et messieurs, doit devenir une culture, enseignée et transmise aux enfants de notre génération, afin de contrecarrer les discours de haine et de division qui ne sont qu’un poisson mortel tout aussi condamnable que le crime. Le vent de la fraternité entre les religions, soufflé depuis 1986 doit embraser le cœur des enfants de notre monde comme en témoigne, le cardinal Roger Etchegaray : « Il a suffi d’une brève rencontre sur une colline, de quelques mots, de quelques gestes, pour que l’humanité déchirée redécouvre dans la joie l’unité de ses origines. Quand, à la fin d’une matinée de grisaille, l’arc-en-ciel est apparu dans le ciel d’Assise, les chefs religieux réunis par l’audace prophétique de l’un d’entre eux, Jean-Paul II, y ont aperçu un appel pressant à la vie fraternelle : personne ne pouvait douter que la prière ait provoqué ce signe manifeste de l’entente entre Dieu et les descendants de Noé. (…) Devant la basilique Saint-François, où, tétanisés par le froid, chacun semblait se serrer étroitement contre l’autre, quand de jeunes juifs se sont précipités sur la tribune pour offrir une branche d’olivier, en premier lieu aux musulmans, je me suis surpris à essuyer une larme sur mon visage » (Cf. Roger Etchegaray, Tertium Millenium, n. 2 /juin-septembre 1996).

La culture de la paix et du dialogue à travers l’esprit d’Assise doit nous permettre de rester éclairés et vigilants face à certains discours donnés comme enseignement de la foi mais qui alimentent la méfiance et le rejet de l’autre et peuvent constituer une source de radicalisation pour nos enfants. Nos traditions religieuses ont donc l’obligation de nourrir l’esprit de notre jeunesse de ce qui nous rapproche et nous maintient dans l’amour du Dieu que nous adorons tous.

Notre jeunesse a besoin d’entendre et de croire avec nous que « l’amour est plus fort que la haine », que « rien n’est plus beau que de protéger la vie humaine », que « Dieu ne peut se réjouir du malheur de l’autre », que « tous les croyants ne forment qu’une seule et même famille » et qu’enfin, « il est temps de rallumer la flamme de la paix entre nous ». Les enfants de notre monde ont besoin de voir en nous leaders religieux et culturels, des exemples de dialogue, de pardon, de fraternité vécue dans la vérité, d’amour sans limite pour chaque enfant de Dieu. Comme l’exprime si bien le Pape Paul VI : « Les hommes d'aujourd'hui ont plus besoin de témoins que de maîtres. Et lorsqu'ils suivent des maîtres, c'est parce que leurs maîtres sont devenus des témoins » (Paul VI au Conseil des laïcs, 1974).

Notre parole pour les jeunes doit se transformer en acte et porter les germes de l’unité et de la concorde, sinon nous auront manquer notre mission de « construire un monde digne de Dieu et digne des hommes ». Cet exemple de notre part leur permettra de rejeter le cynisme, l’extrémisme sur toutes ses formes et l’égoïsme, afin d’atteindre leur pleine maturation comme membres de nos nations, informés, avisés et moralement responsables.

L’Église enseigne à ses enfants à changer de perspective et à rester ouverts d’esprit et de cœur tel que prescrit par la déclaration Nostra aetate : « voir en l’autre un frère à aimer et dans la tradition qu’il vit, un reflet de la vérité qui illumine tous les hommes » (Nostra aetate n°2). En effet l’Église « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions (non-chrétiennes). Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose cependant, reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (Nostra aetate, n°2). C’est dans la promotion de la coopération sereine et respectueuse des diversités culturelles et religieuses que peut croître et s’affermir notre volonté de vivre-ensemble et de témoigner de l’amour de Dieu pour tous les hommes.

Je souhaite que cette rencontre internationale pour la paix nous engage personnellement et engagent aussi nos communautés religieuses à transmettre aux enfants de notre monde et des générations futures, les outils nécessaires pour construire une société humaine plus fraternelle et plus unie dans la diversité de nos religions et de nos cultures. Que souffle sur ces journées l’esprit d’Assise et que de retour chez nous nous devenions des témoins de la fraternité universelle. La paix soit avec vous !

Je vous remercie !

+ Philippe cardinal OUEDRAOGO,
Archevêque métropolitain de Ouagadougou