Introduction

Les agissements du harcèlement moral, qui, de l’extérieur paraissent anodins, ont un effet dévastateur pour la santé physique et psychique des victimes. En effet, nous pouvons tous supporter une certaine hostilité, sauf si cette hostilité est permanente ou répétitive ou si on est placé dans une position où il est impossible de répliquer ou de se justifier. Pour nous en rendre compte, nous procéderons à l’analyse des facteurs aggravants (ce qui fragilise la victime) avant de passer en revue les différentes conséquences elles-mêmes.

1) Les facteurs aggravants du harcèlement moral

La gravité des conséquences (du harcèlement) sur la victime dépend :

a) De l’identité de la victime (rang social, appartenance familiale…)

b) De la relation entre les protagonistes (hiérarchie, parenté…)

c) Du nombre de personnes impliquées dans le procédé du harcèlement (individu, groupe spontané ou organisé)

d) De la durée du harcèlement.

- En effet, l’impact de ces agissements est plus fort s’il est le fait d’un groupe ligué contre une seule personne plutôt que s’il émane d’un individu.

- Le harcèlement par un supérieur hiérarchique est plus grave que le harcèlement par un collègue, car la victime a le sentiment, souvent justifié, qu’il y a moins de recours possibles, et qu’il y a un chantage implicite à l’emploi.

- Les conséquences sur la santé, à long terme, sont plus graves lorsqu’il s’agit de harcèlement moral proprement dit, qui vise une personne isolée, que lorsqu’il s’agit d’une maltraitance managériale où tout un groupe est victime d’un même supérieur caractériel. Dans le dernier cas, les victimes peuvent se regrouper pour se plaindre et se défendre collectivement.

La gravité des conséquences sur la santé dépend effectivement de plusieurs facteurs, mais les plus importants sont :

- La durée du harcèlement

- L’intensité de l’agression

- La vulnérabilité de la victime (la fragilisation de la personne due à des agressions antérieures ou au manque de soutien familial et/amical ou à une mauvaise estime de soi avant l’agression).

Les conséquences proprement dites se distinguent en : Conséquences Aspécifiques et Conséquences Spécifiques.

2) - Les Conséquences Aspécifiques

A - Le stress et l’anxiété

Lorsque le harcèlement moral est récent et qu’il existe encore une possibilité de riposte ou un espoir de solution, les symptômes sont d’abord très proches du stress, avec ce que les médecins appellent des troubles fonctionnels : fatigue, nervosité, troubles du sommeil, migraines, troubles digestifs, lombalgies… C’est la réponse de l’organisme à une hyperstimulation et une tentative d’adaptation du sujet pour faire face à cette situation. Toutefois, au stress, qui provient d’une situation de harcèlement moral, s’ajoutent un sentiment d’impuissance, d’humiliation et l’idée que « ce n’est pas normal ! ». A ce stade, la personne peut récupérer rapidement si elle est éloignée de son harceleur ou si on lui fait des excuses. Alors, elle retrouve son équilibre, sans plus de conséquences à long terme.

B - La dépression

Un état dépressif majeur peut s’installer, si le harcèlement se poursuit dans le temps ou s’il se renforce. La\personne harcelée présente alors une humeur triste, un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessif ou inapproprié, la perte de tout désir et un manque d’intérêt pour tout ce qui l’intéressait jusqu’alors.

Très souvent l’employé masque ses symptômes à son entourage et même à son médecin, car il se culpabilise de ne plus être à la hauteur des attentes de sa hiérarchie. Il est important de ne pas négliger ces états dépressifs car le risque suicidaire est élevé à ce stade.

C - Les Troubles psychosomatiques

Après un certain temps d’évolution des procédés de harcèlement, les troubles psychosomatiques sont presque toujours au premier plan. Le corps enregistre l’agression avant le cerveau qui refuse de voir ce n’a pas compris. Plus tard, le corps se souviendra également du traumatisme, et les symptômes risquent de se poursuivre avec du stress post-traumatique. Le cortège des troubles psychosomatiques est impressionnant et est de gravité rapidement croissante. Ce sont :

1. Des amaigrissements spectaculaires (10 à 15 kg en quelques mois)

2. Des prises de poids rapides (15 à 20 kg en quelques mois)

3. Des troubles digestifs (gastralgies, colites, ulcères d’estomac)

4. Des troubles endocriniens (problèmes thyroïdiens, troubles du cycle menstruel

5. Des poussées d’hypertension artérielle incontrôlables malgré les traitements

6. Des malaises et des vertiges

7. Des maladies de la peau (dépigmentation, blanchissement des cheveux…)

8. Des cancers (seins, ovaires, surrénaux, vésicaux, etc.) ; il n’est pas toujours possible d’établir un lien directe entre un cancer et le stress professionnel, mais plutôt sur l’évolutivité rapide du cancer et l’ambiance difficile du travail, dans ce sens que l’individu craque là où il est génétiquement prédisposé.

Un choc physique peut avoir un retentissement psychique et un choc émotionnel peut avoir des incidences somatiques. On passe ainsi du physique au psychique et réciproquement. La représentation ou la crainte de l’événement (hurlement, insultes, humiliation, paroles sarcastiques, prévarication verbale, arrogance professionnelle ou de position de type : « on ne s’adapte pas aux désirs des employés, c’est à eux de s’adapter »), cela crée à son tour le même syndrome que l’acte lui-même.

N.B. : Dans toutes les souffrances au travail, et en particulier en cas de trop forte pression professionnelle, si le stimulus cesse, la souffrance cesse et la personne peut recouvrer son état normal. Le harcèlement moral, au contraire, laisse des traces indélébiles qui peuvent aller du stress post-traumatique à un vécu de honte récurrent, ou même à des changements durables de la personnalité. La dévalorisation persiste, même si la personne est éloignée de son agresseur. Elle porte une cicatrice psychologique qui la fragilise et l’amène à vivre dans la crainte et à douter de tout et de tout le monde.

- La reviviscence des scènes de violence et d’humiliation s’impose à la personne traumatisée qui ne pas ne pas y penser. Ces traumatismes entraînent une distorsion du temps : la mémoire stagne sur l’événement traumatisant, comme par hypermnésie, et le présent devient irréel, entraînant l’oubli ou un détachement des choses quotidiennes. « Même mon mari et mes enfants ne comptent plus vraiment pour moi. Pourtant, je sais que je les aime, mais je n’éprouve plus rien »

- La conséquence de la reviviscence est la désillusion : la victime est rabotée, usée et minée par le souvenir des événements du harcèlement, jusqu’à perdre toute illusion et tout espoir. L’écroulement narcissique est d’autant plus fort que la personne avait surinvesti son travail affectivement. Il y a là une situation de ratage, d’existence gâchée, de paradis perdu.

3 - Les Conséquences Spécifiques du harcèlement

A - La honte, l’humiliation

Ce qui fait la singularité des tableaux de harcèlement par rapport aux autres formes de souffrance au travail, c’est la prédominance de la honte et de l’humiliation. Cela va de pair avec une absence de haine envers l’agresseur : les victimes veulent seulement être réhabilitées et récupérer leur honneur bafoué ; c’est cela qui explique leur envie de se cacher, de se retirer du monde.

La honte explique la difficulté qu’ont les victimes à s’exprimer, surtout lorsque le harcèlement est individuel. Comme dans les cas d’abus sexuel, la réalité est souvent pire que ce que les victimes racontent dans un premier temps, car elles ne trouvent pas les mots. Comment dire, à un moment donné, que l’on se sent maltraité, alors qu’on n’en a rien laissé transparaître jusqu’alors ? Comment justifier à ses propres yeux de n’avoir pas protester tout de suite ? Comment expliquer aux autres pourquoi on réagit à ce moment-là ?...

Une agression dont on réussit à se défendre, même tardivement, ne produit pas tant d’effets à long terme. Ce qui blesse, en définitif, c’est n’avoir pas su (ou pu) faire ce qu’il fallait pour arrêter le processus, ce sont les humiliations subies en faisant bonne figure, les messages venimeux qu’on n’a pas décryptés à temps. La honte vient de ce qu’on n’a pas su ou pu réagir.

B) La perte de sens

Ce qui rend malades, c’est l’incompréhension, ce sont les discours faux destinés à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Le double langage familial peut rendre un individu schizophrène, mais le double langage dans une entreprise ou un institut, peut détruire les employés et les rendre paranoïaques.

Il faut noter que des injonctions paradoxales (dire une chose et exprimer son contraire, par exemple) sont souvent utilisées comme technique de harcèlement. Il s’agit d’empêcher l’autre de comprendre, de le paralyser. On reproche à quelqu’un de ne pas travailler, mais on ne lui donne pas les moyens de travailler ; ou bien, on prescrit à un employé une tâche dont tout le monde sait qu’elle est inutile. Ainsi il doute de sa santé mentale, ce qui est suffisamment éprouvant, et cela peut être aggravé par un comportement inconscient de collègues qui font comme de rient ne s’était passé ou qui, au contraire, laissent entendre qu’on doit bien y être pour quelque chose pour être traité ainsi ; c’est invivable. Les personnes, dans ces conditions, sont obligées de décompenser d’une manière ou d’une autre.

On devient, en effet agressif. Le passage à l’acte agressif est la conséquence directe de la perte de sens et de l’impossibilité de se faire entendre. On voit des employés avoir des gestes impulsifs, de colère, qui peuvent aller jusqu’à casser du matériel sur le poste de travail, détruire toute une base de données informatiques ou téléphoner à leur agresseur pour l’injurier (acte suicidaire). Il va sans dire que ces actes impulsifs se retournent toujours contre l’employé, trop réactif, qui passe pour caractériel.

C - Les modifications psychiques

« on peut guérir d’un coup d’épée mais pas d’un coup de langue » (proverbe mossi). Ainsi quand le but de l’agression est de détruire l’autre, de le priver de son identité, on n’a, pour se protéger, que deux solutions :

- Se dédoubler (dissociation)

- Ou bien renoncer à son identité.

Ces événements provoquent une rupture ; plus rien ne sera jamais pareil. On en ressort changé. Ce changement se fait parfois dans un sens positif, comme un apprentissage (prudence/méfiance dans les situations analogues). Mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Deux registres d’évolution sont possibles : la dévitalisation et la rigidification.

1 - La dévitalisation

La personne harcelée s’installe dans une névrose traumatique et son état dépressif devient chronique. C’est comme si elle n’arrivait pas à se désengluer de l’emprise. Elle rumine la situation et devient comme écrasée, perdant tout élan et toute étincelle de vie. Il n’y a plus aucun mouvement en elle puisque la personne est figée, parfois définitivement. C’est dans ce cas que l’on parle de « meurtre psychique » : elle est toujours en vie, mais elle est devenue comme un zombie. Elle porte désormais un bout de son agresseur en elle. Elle a incorporé ses paroles. Dans une autre culture, on dirait qu’elle et « possédée » ou bien « envoûtée »

2 - La rigidification

D’autres fois, les personnes harcelées évoluent vers une rigidification de leur personnalité et des trait paranoïaques.

En effet, il facile de passer d’une méfiance légitime à une paranoïa induite. La limite est subtile et bien souvent, celle-ci vient fausser le diagnostic. Pourtant, ce serait un abus de savoir psychiatrique que d’attribuer ces troubles à une pathologie antérieure. Quand la confiance est bafouée, quand on a été trahi et manipulé, il est normal de devenir méfiant. Quand on a été surveillé, piégé, il est inévitable que l’on prenne ensuite des précautions. Toute situation professionnelle où il faut être en permanence sur ses gardes, peut entraîner une méfiance généralisée et une rigidification de la personnalité.

Il arrive souvent que les victimes de harcèlement rencontrent méfiance et incrédulité, même parmi les thérapeutes et les avocats. On leur dit qu’elles ont été trop naïves, et elles se reprochent de n’avoir pas vu venir l’agression. En réaction, elles s’installent facilement dans une méfiance généralisée et en viennent à douter de tout le monde. On voit alors apparaître une rigidification réactionnelle avec souvent un sentiment de persécution, qui peut aller jusqu’au délire.

La voie de sortie d’une telle situation est la reconnaissance extérieure (objective) de la violence subie.

D - La défense par la psychose

C’est un mécanisme que notre psychisme met en œuvre pour résister dans un contexte hostile et qui consiste à s’identifier à ce qu’on nous reproche d’être. Quand on dit à quelqu’un : « Tu es fou » ou bien « Tu es paranoïaque », il devient effectivement fou ou paranoïaque. De même, quand on lui dit : « Tu es nul », la personne concernée perd ses moyens et se sent devenir nulle. On la traite de paranoïaque et, après un certain temps, on la pousse à devenir méfiante, rigide, procédurière. C’est le pouvoir des mots qui font acte et qui, par injonction, transforment l’autre.

On voit que le harcèlement moral est un processus particulier où une personne finit (le sujet harcelé) par devenir ce qu’on lui reproche d’être.

 

Abbé Robert ILBOUDO,
Archidiocèse de Ouagadougou