Le mobbing, le bullying, le harassment, le whistleblower, l’ijime, voilà cinq (5) approches dont la variété et l’historique nous aideront à percevoir l’aspect multiforme et surtout l’ancienneté du phénomène « harcèlement moral »

1) – Le mobbing

Dans les années ’80, Heinz Leymann, psychologue d’origine allemande, installé en Suède, introduit le concept de mobbing pour décrire des formes sévères de harcèlement dans les organisations sociales

Ce terme qui semble avoir été utilisé pour la première fois par l’ethnologue Konrad Lorenz à propos des comportements agressifs de groupes d’animaux qui veulent chasser un intrus, a été repris dans les années ’60 par un médecin suédois, Peter-Paul Heinemann, pour décrire le comportement hostile de certains enfants à l’égard d’autres enfants, dans les écoles. En 1972, il publie le premier livre sur le mobbing, qui traite de la violence de groupe chez les enfants.

Le terme mobbing vient du verbe « To mob », que les dictionnaires (Harrap’s) traduisent par « houspiller », « attaquer », « malmener », « assiéger ». Quant au substantif « mob », il signifie la foule, la meute. Il ne faut pas négliger que, en Anglais, « Mob » avec majuscule, signifie « la mafia ». L’origine du terme montre bien qu’il s’agit d’un phénomène de groupe et, par son annexe, il donne à penser que les méthodes ne sont pas toujours très claires.

Pour Heinz Leymann, le mobbing consiste en des agissements hostiles fréquents et répétés sur le lieu de travail, visant systématiquement la même personne. Selon lui, le mobbing provient d’un conflit qui dégénère. Il l’analyse comme une forme particulièrement grave de stress psychosocial.

Le concept se diffusera ans les années ’90 parmi les chercheurs qui travaillaient sur le stress professionnel, essentiellement dans les pays scandinave, puis dans les pays de langue allemande. En 1993, Heinz Leymann publie, à partir de ses recherches, un ouvrage de vulgarisation : « Mobbing, la persécution au travail ». Il a continué à faire des enquêtes statistiques en Suède et il a participé à la formation de nombreux chercheurs dans les pays de langue allemande. Ainsi, il dit qu’en 1990, 3,5% des employés suédois sont victimes de harcèlement, et qu’à la même époque 15% des suicides étaient dus au mobbing. Les chercheurs de Heinz Leymann [1] aboutissent à la prise en compte des blessures à caractère psychologique, dans une loi sur les conditions de travail, qui est complétée par un décret spécifique sur la victimisation au travail, en 1994. La définition suivant en est donnée : « par mobbing, on entend les actions répétées et répréhensibles ou nettement négatives qui sont dirigées contre des employés d’une manière offensante et qui peuvent conduire à leur mise à l’écart de la communauté sur les lieux du travail »

Tel qu’il est utilisé actuellement, le terme mobbing correspond d’abord à des persécutions collectives et à la violence liée à l’organisation.

2) – Le bullying

Parallèlement, le concept de bullying est connu en Angleterre. En Anglais, « To bully » signifie « brutaliser », « rudoyer » ; et un « bully » est quelqu’un de brutal et de tyrannique, qui s’attaque aux faibles.

Encore plus nettement que pour le terme mobbing, le terme bullying, au départ, ne concerne pas le monde du travail. On parlait de bullying essentiellement pour décrire les humiliations, les brimades ou les menaces que certains enfants ou groupes d’enfants faisaient subir à d’autres enfants. Puis le terme s’est étendu aux agressions rencontrées dans l’armée, dans les activités sportives, dans la vie familiale, en particulier à l’égard des personnes âgées, et bien sur, également dans le monde du travail.

Le terme bullying apparaît d’acception plus large que le terme mobbing. Il va des moqueries et de la mise à l’écart jusqu’à des conduites d’abus à connotation sexuelle ou des agressions physiques. Il s’agit plus de brimades ou de violence individuelle que de violence organisationnelle. Dans une étude comparative entre le mobbing et le bullying, Dieter Zapf considère que le bullying provient majoritairement de supérieurs hiérarchiques, alors que le mobbing est beaucoup lus un phénomène de groupe [2].

3) - Le harassment

Aux Etat Unis, le terme mobbing n’a été introduit qu’en 1990 par un article de Heinz Leymann dans la revue américaine « Violence and Victims, 5, 1990 », mais le phénomène avait été étudié dès 1976 par un psychiatre américain, Caroll BRODSKY, dans un livre intitulé « The Harassed worker ». Pour lui, le harcèlement consiste en des attaques répétées et opiniâtres d’une personne sur une autre, pour la tourmenter, la miner, la frustrer, la provoquer. Il en souligne ainsi les effets destructeurs sur la santé et, à juste titre, il remarque qu’il ne s’agit sans doute que de la partie émergée de l’iceberg.

4) – Le whistleblower

Littéralement, un whistleblower est celui qui tire la sonnette d’alarme ou qui vend la mèche. C’est en ce sens qu’il devient victime de représailles. Il prend sur lui d’alerter l’opinion publique sur les malversations, les actes de corruption ou les violations de la loi des grands services publics où il travaille, ou sur leurs actions , présentant un danger substantiel et spécifique concernant la santé publique ou la sécurité. A ce jour, ce sont les secteurs de la santé ou de l’armée qui ont été les plus visés par ce type de harcèlement.

En pratique, ceux qui dénoncent les dysfonctionnements d’un système subissent bien évidemment des représailles de la part de ce système. Il s’agit d’une forme spécifique de harcèlement moral, destinée à faire taire celui qui ne joue pas le jeu. Singulièrement, on n’a jamais à leur égard ni de mobbing ni de bullying, pourtant ce qu’ils subissent correspond à ce que nous disions du harcèlement moral. Il suffit de prendre l’exemple de la dénonciation de la mauvaise gestion et du gaspillage du matériel immobilier de nos différents ministères : même les vérificateurs ou surveillants le savent, les supérieurs hiérarchiques également, mais l’employé qui s’hasarderait à dénoncer le fait aurait des comptes à rendre, soit à ses collègues ou ses pairs, soit à ses supérieurs hiérarchiques.

5) – L’ijime

Au Japon, le harcèlement moral est un phénomène très ancien. Comme les autres termes dont nous avons parlé, le terme « ijime », harcèlement en Japonais, est utilisé pour décrire les brimades et les humiliations subies par des enfants à l’école, mais aussi pour décrire, dans les entreprises nippones, les pressions d’un groupe sur les jeunes recrues afin de les former ou de mater les éléments perturbateurs. Les japonais n’aimant guère l’individualisme, l’objet de l’ijime consiste à intégrer les individus dans le groupe et à les y rendre conformes. Un dicton japonais le résume clairement : « le clou qui dépasse rencontrera le marteau »

Il s’agit donc d’un outil de contrôle social, soit dans le milieu scolaire soit dans le monde du travail. Selon Heiko YAMANAKA [3], « le phénomène de l’ijime est apparu vers 1972, au moment où l’industrie japonaise se développait à vive allure. L’industrie avait besoin de jeunes travailleurs adaptés à un monde de travail standardisé : pas d’individualisme, pas de personnalités marquées et surtout, pas de critiques ». Les milieux industriels et financiers exigèrent du gouvernement, au nom de la prospérité du pays, une réorganisation du système éducatif afin de faire face à la croissance économique. Deux générations d’après guère ont été ainsi « calibrées » avec des épreuves d’endurance en temps limité et d’autocensure permanente pour rester en conformité avec les multiples règlements imposés.

Dans les années ’90, lorsque la récession s’est installée, le monde du travail a changé son fusil d’épaule et a réclamé des hommes prêts à se couler dans nouveau moule et capables d’idées originales. Il a fallu changer les méthodes de management. Maintenant, il n’est plus question d’emploi à vie mais de réduction d’effectifs et de management au mérite et à la performance. On ne se contente plus de mettre à l’écart les employés trop vieux ou « inutile », les « magogiwazoku », la tribu de ceux qui sont près de la fenêtre », mais on cherche à les faire partir par des pressions ou des brimades psychologiques. On passe ainsi de l’ijime dont l’objet est avant tout, de structurer la communauté de travail, à un harcèlement moral brutal qu’on qualifie de plus en plus de « moral harassment »

Conclusion

On voit, avec des terminologies différentes et sous des formes variables selon les cultures, que le harcèlement moral consiste en un véritable phénomène de société. Dans les travaux de recherche en langue anglaise, même s’ils ne sont pas identiques, les termes « mobbing » et « bullying » sont souvent utilisés indifféremment ; pourtant nous avons vu qu’ils ne sont pas strictement identiques :

- Mobbing correspond plus à des persécutions collectives ou à la violence liée à l’organisation, y compris les dérapages qui vont jusqu’à la violence physique ;

- Bullying a un sens plus large par rapport à mobbing : il va des moqueries et de la mise à l’écart jusqu’à des conduites d’abus à connotation sexuelle ou des agressions physiques. Il s’agit plus de brimades individuelles que de violence organisationnelle ;

- Enfin, le harcèlement moral consiste en agressions subtiles, et par conséquent difficiles à repérer et à prouver, quelle que soit sa provenance (individu ou groupe). Même si elles sont proches (du harcèlement), la violence physique et la discrimination, en principe, sont exclues, mais nous reviendrons prochainement sur la spécificité du harcèlement moral en milieu professionnel.

 


Notes :

[1] H. Leymann a travaillé sans relache à la recherche sur le mobbing jusqu’à sa mort en janvier 1999.

[2] Cf. “Organisational work group related and personal causes of mobbing/bullying at work” – International Journal of Manpower, vol. 20, 1999.

[3] H. YAMANAKA: “Le Japon au double visage” – Denoel, Paris 1977.

 

Abbé Robert ILBOUDO,
Archidiocèse de Ouagadougou

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